Joli mois de mai

Aloys Carton

Gattières (06), le 7 mars 2008

Oh ! oui, il fut beau, notre mois de mai 68 !

Cette « Révolution », incomprise à l’époque par les grosses machines politiques et syndicales, le reste encore tellement. Car, enfin, les « trente glorieuses » avaient encore leur clinquant, on bouffait, on avait du boulot… Mais que voulaient-ils de plus, ces enfants gâtés ?

Tant que le peuple se satisfera de pain et de jeux, le peuple sera domptable pour la plus grande gloire de la plupart des politiques. Et c’est ça qu’ils n’ont plus voulu, ces jeunes : être domptés !

Ne se souvient-on plus de la forêt d’interdits, des carcans tous genres dont la soumission de l’ORTF au pouvoir était le symbole et la réalisation les plus aboutis. Les jeunes ont tenté de secouer le joug et de rallumer les lumières.

Et, apparemment d’un coup, les jeunes se sont pris à rêver et à le dire. Oui, on s’est pris à rêver co-responsabilité dans la société, respect des libertés individuelles, mieux que le pouvoir, l’autorité dans le dialogue et le respect à l’école, une vraie séparation constitutionnelle des pouvoirs …

Oui, on a rêvé, rêvé, rêvé à fond.

Une révolution sur le « quantitatif », ça s’identifie facilement et on sait parfois y répondre ; une révolution sur le « qualitatif », ça vous prend à contre-pied. Nos politiques, économistes et marchands se trouvent, d’un coup, analphabètes pour lire le type de société qu’ils nous imposent. Ne serait-ce pas ça, par hasard, une « politique de civilisation « ?

Les deux sales coups, au lendemain de ce réveil d’humanité, furent la vague bleue des élections qui ont suivi et les accords de Grenelle qui dévaluèrent notre rêve d’ « être » en désir d’«avoir ». Ils n’ont donc rien compris ? Ils ne comprennent donc toujours rien ?

C’est facile, petit et un rien ridicule de caricaturer l’événement en foutoir, en bordel débridé, en licence no-limit.  Bien sûr qu’il n’y a pas de raz-de-marée sans écume, pas de révolte sans pavés ; inévitables mais tellement minimes à côtés des milliers d’amphis, de réunions, de réflexions dont nous gardons mémoire et respect.

« Il est interdit d’interdire » ! Comment voulez-vous que des requins du pouvoir ou des calculettes comprennent l’humour qu’on y avait mis aussi ? Car, «  chez ces gens-là, messieurs, chez  ces gens-là, on ne rit pas… »

Mais regardez-les, ceux-là mêmes (celui-là même !) qui veulent le plus ré-éteindre les lumières de mai 68, ce sont les prêcheurs de sécurité, d’enfermement, du « travailler plus », de muselières en tous genres, de politique d’expulsions, de retour à l’autoritarisme anti-pédagogique. Evidemment ! Notre rêve leur resterait-il menace pour qu’ils en gardent une telle détestation ?

En 68, j’étais jeune éducateur à Lyon, jeune aumônier de lycéens, de normaliens et d’étudiants en sociologie. Aux premières loges pour réfléchir et bouger  avec eux et avec elles ; apprendre d’eux. Tout ce que j’ai pu faire et vivre depuis en a été modifié, qualifié : mon regard sur la participation, la place des femmes dans la société, celle des jeunes, l’accueil de l’autre, de l’Etranger… surtout le regard critique sur les institutions qui étaient miennes, Eglise comprise.

Oui, un printemps éblouissant que l’on n’a pas vécu que comme une récréation.  Quarante ans plus loin, à 74 ans, je garde le goût, le désir, le rêve de la lumière que nous avions allumée. Je veux y croire encore, avec plein d’autres et croire que le « Peuple des lumières » n’a pas totalement perdu son âme.