Chroniques d'un chef d'établissement

2018 - 2019

par Bertrand Gaufryau

Le 7 novembre 2018

Et si l’école échappait à la dictature du temps ?

Le monde moderne est pareil au lapin d’Alice aux Pays des merveilles, pressé et ne pouvant s’empêcher de scander « en retard, en retard ». Le monde de l’école n’échappe malheureusement pas à cette course à l’urgence et l’instantanéité fait des ravages. La tendance s’accélère en temps de crise, quand le calme devrait prévaloir, sans pour autant brider la réactivité. Et si nous abattions la dictature de l’urgence ? Alors peut-être, l’intelligence collective pourrait faire des miracles pour relever les défis auxquels l’école est confrontée.

Vous devez vous demander sur quel chemin je veux encore vous conduire cette semaine ? Et bien suivez moi ! Le temps où Jean Baptiste de La Salle, dont l’école n’était pas initialement « la tasse de thé », s’est trouvé happé et embarqué dans cette belle aventure…En 1704, il établit le premier « programme scolaire » révolutionnaire à lui seul, car premier ! Puis ce fût Victor Hugo qui fit son cheval de bataille de cette école qu’il souhaitait publique et gratuite, disant au Président Napoléon III, qu’il avait renié cette promesse sur laquelle il s’était engagé, confiant plutôt les rênes de l’instruction publique au Comte de Falloux, célèbre pour sa fameuse loi de financement des établissements confessionnels… « Lorsque vous ouvrez une école, vous fermez une prison » : célèbre formule attribué à ce génie de l’écriture, Royaliste devenu Républicain ! Jules Ferry et bien d’autres sont venus les uns après les autres apporter leur pierre à cet édifice qu’est l’éducation, nom moderne pour parler de ce que les anciens nommaient instruction ! Peu à peu, l’école est devenue à la fois le cœur de la République, creuset de l’ascenseur social, lieu de brassage de ses « enfants » mais aussi, victime de sa massification, un formidable vecteur de reproduction des inégalités.

Mon propos est sérieux, mais les évènements récents autour de l’école m’ont indigné. Les médias se sont fait des gorges chaudes de violences ciblées territorialement. Alors l’effet loupe, la dictature de l’instantanéité, ont fait le reste ! J’ai en mémoire la conférence de presse des trois ministres – Education-Intérieur-Justice et quelques réactions…Faire rentrer des policiers dans les enceintes scolaires ? Et en réaction : et si nous faisions entrer des enseignants dans les commissariats ? Rétablir des punitions exemplaires ? L’arrêté du 5 juillet 1890 stipulait : « les punitions auront toujours un caractère moral et réparateur ; le piquet, les pensums (les “lignes”), les privations de récréation, la retenue de promenade sont formellement interdits ». Ré-agir ou ré-action ? Les deux mon capitaine ! La dictature du temps…de l’image. Ce qui résume le mieux ce que vit l’école aujourd’hui, c’est cette une d’un journal satirique bien connu : « Ecole : çà se durcit ! » avec un dessin de Coco montrant une petite fille jouant à la marelle sur un parcours « 1, 2, 3, prison » !…ou bien cette caricature d’un policier dans la bouche duquel se trouvent ces paroles « Quitter l’école si tôt pour y revenir si vite ! »…

Bref, vous aurez compris que ces temps ne sont pas les miens. L’école, c’est le lieu par excellence de la transmission des savoirs, c’est le lieu de rencontres improbables entre des enseignants qui sont de vrais « militants » de l’éducation, de la bienveillance, de l’exigence ! C’est le temps de la construction de parcours professionnels, de la formation de citoyens en devenir, de l’émencipation ! C’est si beau, l’école ! Dans 95% des cas, l’école, c’est le lieu de tous les possibles ! De la confrontation, de l’apprentissage du vivre ensemble. C’est le lieu de l’acceptation des différences. C’est le temps des conflits mais aussi et surtout de leur dépassement. C’est le lieu des sourires, des projets…parfois celui de l’école buissonnière…Alors, oui, j’ai fait un rêve ! Celui du temps qui prendrait son temps, celui non pas de l’école de la concurrence mais des coopérations, non pas le temps de « c’était mieux avant », mais de celui des maîtres passeurs de savoirs, respectés pour ce qu’ils sont et ce qu’ils font !

Je suis heureux et fier de ces petites écoles rurales, innovantes, performantes car les adultes prennent le temps d’aider l’enfant, fier des collèges, des lycées qui font de la bienveillance l’alpha de leur projet d’établissement…pas encore l’oméga, mais bientôt ! Je rêve que la sagesse, la démocratie des idées prennent le pas sur la dictature du temps…Je sais, certains me diront tu rêves ! Tu es un utopiste…Mais qu’est-ce qu’une utopie si ce n’est quelque chose qui n’a pas encore été pleinement réalisé ? Vive l’école ! Merci d’avoir accepté de suivre le chemin que je vous ai invité à emprunter avec moi aujourd’hui…Ne jugeons pas l’école de 2018, comme beaucoup, avec nos souvenirs de « vieux  cons »…Ne nous perdons pas dans débats afin de savoir si l’école d’hier était mieux que celle d’aujourd’hui…Mais lorsque vous irez chercher vos enfants, petits enfants, à l’école, au collège et accessoirement au lycée, n’oubliez jamais que l’éducation est le bien le plus précieux que nous avons en commun ! A la semaine prochaine…sur d’autres chemins ! Portez vous bien…

 

Le 5 octobre 2018

L’éducation prioritaire ne l’est plus

La nouvelle politique d’éducation prioritaire énoncée les 2 et 3 octobre dernier par le Ministre se traduit par un enterrement de première classe ! Le gel de la carte de l’éducation prioritaire, doublé de petites phrases distillées par M. Blanquer ont accru l’inquiétude sur cette politique publique. Après avoir dénoncé ses « effets pervers », et l’incohérence d’un système « y être ou ne pas y être », le Ministre, dans le lancement de la mission concernant l’éducation prioritaire, a fixé le cap : mise en place d’un système à la carte en substitution du zonage existant.

L’évaluation de la politique et non seulement du zonage, de la carte était prévu en 2019 ! Ceci ne se fera pas, malheureusement ! Un bilan global, à la fois des résultats, mais aussi de ce qui y concourt, comme la formation des enseignants, les référentiels, le pilotage de la politique, aurait eu du sens. Les projets mis en œuvre et ancrés territorialement avaient du sens. Faire l’impasse sur cette dimension est nier l’investissement et la réalité de la politique d’éducation prioritaire portée localement. Le pilotage national va disparaître et c’est le cadre, garant d’une qualité et d’une pertinence mesurée par les équipes qui risque d’être balayé d’un revers de main.

Le pilotage par les résultats, et donc par les moyens dont on sait que la décision revient à Bercy, est en marche. L’éducation prioritaire va entrer dans un cadre, certes, mais c’est un cadre d’une politique libérale qui va conduire à davantage d’inégalités et à des choix d’efficacité loin des fondements de l’école du creuset républicain.

L’évaluation est nécessaire. Y renoncer est un énième avatar d’une politique qui a tantôt permis de mobiliser des moyens et de faire de l’éducation prioritaire une vraie politique publique au service des territoires, des jeunes, en s’appuyant sur l’innovation et des équipes éducatives et pédagogiques expérimentées ; et parfois, un abandon en rase campagne de cette démarche, y compris lorsque l’actuel Ministre J.M. Blanquer, était directeur de l’enseignement scolaire, sous Luc Châtel.

Une plus grande autonomie dans le pilotage qui n’est autre qu’une libéralisation du système éducatif constitue l’axe fort de la politique éducative du Ministre. L’éducation prioritaire est en voie de « liquidation » comme le dénonce justement Marc Douaire, Président de l’Observatoire des Zones Prioritaires. Lorsque Philippe Meirieu parle de Riposte qui est aussi le titre de son dernier ouvrage, c’est aussi à cela qu’il fait explicitement référence. Elle doit être à la fois locale et globale. Parce que les acteurs de terrain savent ce qui est en jeu : un modèle éducatif, qui loin d’être parfait, doit avant d’être revisité, doit faire l’objet d’une évaluation sérieuse, sur des critères objectifs et non sur ceux d’une idéologie libérale dont on sait, de par l’histoire, qu’elle est un facteur d’accroissement des inégalités.

Le 24 septembre 2018

La marchandisation de l’école est en marche


La rentrée 2018 n’est pas neutre pour le chef d’établissement que je suis. Elle ne l’est pas pour les élèves et étudiants et non plus pour les collègues enseignants. La culture du management provenant du « logiciel » anglo-saxon se veut la marque de fabrique de la modernité dans le nouveau monde du gouvernement actuel. La mise en œuvre des tests que ce soit en primaire ou bien dans le secondaire instille un pilotage des établissements et donc des équipes par les résultats, mettant au cœur du modèle éducatif cette concurrence destructrice opposée aux valeurs des écoles liées à la République. Puis il y a eu parcoursup, qui au nom des inégalités de l’ancien « outil » d’orientation APB, a privatisé cette étape cruciale et offert un boulevard aux « officines privées », officines bénéficiant, en outre, de défiscalisation pour les familles y faisant appel ! Nous sommes sur la voie de l’évaluation des enseignants, des équipes, visant à donner à celles dites les plus « performantes » - sur quels critères ? -, des moyens supplémentaires puisés dans ceux des les établissements les moins « performants » ? Mais la réforme de la voie professionnelle est aussi très inquiétante.

A terme, ce sont moins de moyens, tant sur les temps d’enseignements généraux que certains modules professionnels. Quelques heures par ci, quelques autres heures par là… J’ai pu, au détour d’un arrêté, m’apercevoir que certains modules professionnels dans certaines filières se voient amputés de 12 heures ici… Bien entendu, sur 132 heures, vous me direz que cela n’est pas inquiétant… Mais si ! Le signal donné tant aux enseignants qu’aux jeunes est contre productif et même indigne, mensonger, lorsque le Ministre parle de la « revalorisation de la voie professionnelle ». Sauf à considérer que cette dernière, en lycée, n’est ni noble, ni utile ! Pourtant, l’insertion sociale et professionnelle des jeunes issus de cette voie est réelle, comme les statistiques nationales le montrent, mais aussi et plus précisément les territoires s’en font l’écho ! Après un cursus en 4 années il y a quelques années – BEP + Bac Professionnel, un passage à 3 ans, la réalité de la réforme est une formation en …2 années, la spécialisation d’un métier se faisant en classe de 1ère.

Derrière cette « réforme », c’est la mise en avant de l’apprentissage comme seule voie professionnelle pouvant assurer cette insertion sociale et professionnelle des jeunes ! Comme si la voie professionnelle en formation initiale scolaire lycée était le lumpen prolétariat de la formation professionnelle ! Des UFA dans tous les établissements, une mixité non préparée et non maîtrisée est en marche ! La mixité des parcours au sein d’un établissement peut constituer un élargissement du spectre des voies de formation offertes. La mixité des publics, un mirage lié un peu comme le mariage de « la carpe et du lapin » à une démarche pédagogique et des calendriers inconciliables ; la mixité combinée, un suicide collectif !

Déposséder les régions de la dimension territoriale de la formation par apprentissage au profit seul des blanches professionnelles constitue une forme de re-nationalisation de la formation. C’est aussi un retour vers la recherche de la fonction utilitariste des savoirs professionnels, au détriment des savoirs-faire qui dans leur approche globale, offrent au jeune, une véritable approche du métier et de formation de citoyen. Que deviendront les 40% de jeunes qui vivent des ruptures de leur contrat d’apprentissage ? S’agit-il, à travers cette démarche d’offrir aux entreprise, une main d’œuvre bon marché et interchangeable, de créer une forme alternative de baisse du coût du travail ?

Le modèle d’école que nous prépare ce gouvernement m’inquiète. Il m’inquiète pour les jeunes et le leurre des projets et des slogans ! Il m’inquiète pour les enseignants et leur mission de transmission des savoirs ! Il m’inquiète pour les territoires et les Régions qui ont une telle connaissance de cette voie qu’est l’apprentissage, et co-animaient et avec les branches, cette proximité, facilitant l’insertion des jeunes. L’école de la confiance devient l’école de la défiance. L’école n’est pas une marchandise. A la lumière des projets du gouvernement, elle le devient ! La riposte d’impose.

Le 17 septembre 2018

Une école à deux vitesses

Et bien voilà ! Le vrai « Blanquer » est de retour. Celui qui connaît si bien le Ministère, respecte tant les enseignants, qui a contribué à supprimer 80.000 postes sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy…Et par ricochets, donne à son collègue de l’agriculture la clé pour agir de même au cœur de son ministère ! 1800 postes me direz-vous, ce ne sont que 0,2% de l’ensemble de ceux affectés à l’enseignement primaire et secondaire. Une goutte d’eau dans l’océan que représente, ce qu’un lointain prédécesseur appelait « le mammouth » !

Mais c’est un vrai retournement de situation et personne ne sait de ce qu’il adviendra en 2020 et pour les années suivantes. Le Ministre dit que la maternelle et le primaire seront sanctuarisés pour répondre à la promesse « présidentielle » de mettre l’accent sur ces cycles. N’oublions toutefois pas que les territoires ruraux dans le cadre de cette priorité ont été plutôt malmenés pour trouver les moyens d’honorer cette promesse ! Alors, le collège et le lycée qui seront mis à contribution. Le collège ? Une tranche d’âge qui nécessite un accompagnement spécifique. L’adolescence n’est pas la période la plus simple à « gérer » pour les enseignants et les personnels. Réforme du lycée, mise en concurrence des établissement avec un pilotage par le résultat des évaluations contestables et contestées  - que ce soit en CP/CE1 ou bien en classes de seconde professionnelle et générale. Si l’on rajoute le « management des équipes » par des « managers » et non plus des chefs d’établissements, tous les clignotants des écoles qui œuvrent dans la République avec le projet de transmission des savoirs, mise sur les rails de citoyens en devenir, émancipation des jeunes, sont au rouge vif !

C’est l’école que l’on dénature, c’est l’école que l’on fragilise, c’est l’école que l’on banalise en en faisant non une institution remarquable, mais une entreprise au service de l’économie. Alors, le Ministre de l’éducation a trouvé la parade ! Du moins le croit-il. Il proposera des heures supplémentaires. Qui plus est, ces heures seront exonérées de cotisations salariales, donc plus rémunératrices pour les professeurs. C’est un Ministre qui dit bien connaître les enseignants ? Effectivement, les questions du pouvoir d’achat des personnels enseignants, leur formation, les perspectives de carrières sont essentielles ! Mais la mise en place d’un volant d’heures supplémentaires, même mieux rémunérées, est une précarisation rampante de l’éducation nationale. Chacun sait que ce volume est décidé annuellement et peut-être rayé d’un trait de plume à la rentrée suivante. Précarisation, mise en concurrence des établissements, réforme du lycée avec des établissements qui pourront proposer l’ensemble des parcours aux élèves et ceux de « seconde zone », plutôt en milieu péri-urbain ou rural qui ne pourront que proposer des parcours moins complets, moins riches, moins attractifs.

Bref, il s’agit de mettre en place et légitimer une école à deux vitesses. La mutualisation des moyens a bon dos ! Surtout lorsqu’elle cache une paupérisation des territoires et revendique la « modernité » comme objectif ! Dans la même lignée que la métropolisation du territoire, laissant en « jachère » des territoires périphériques et ruraux, l’école des métropoles est en marche ! C’est notre modèle qui est en cause ! La riposte doit s’organiser ! Nous ne pouvons passer sous silence ce mouvement qui se met en place au nom de la ringardisation de l’ancien monde qui a permis à des générations de vivre le creuset républicain !

 

Le 16 septembre 2018

Des temps de rencontres...

Un des luxes de la fonction que j'occupe est de pouvoir me ménager des temps de découverte, d'échanges, de rencontres. Ils ont chacun la saveur de cette dimension éducative qui n'est jamais en elle même « gratuite », mais donne du sens, de la densité à la démarche qui imprègne l’idée singulière que je me fais de la fonction, au service des valeurs que porte l’école dans la République.

En rencontrant, avec sa maman, une élève de seconde générale, Jeanne, nouvellement arrivée dans l’établissement, j’ai en arrière plan ma boite à outils qui contient un précieux « outil ». Il porte un nom, il a un regard, il dispose d’une expérience humaine et professionnelle rare. Cet outil n’est autre qu’Eve Ricard, la « dame des mots » qui justement avec ses « mots » a durant tant d’années, soigné les maux des enfants et adolescents. Cela me rassure car même si le temps avançant, l’expérience et la sensibilité aidant, je ne me sens pas inquiet, je sais pouvoir échanger et partager cette rencontre à venir avec mon amie Eve. Jeanne est diagnostiquée HP c’est à dire haute performance. Mais elle est surtout et avant tout timide, angoissée, à l’image de sa maman. Assis autour de la table de rencontre que j’affectionne, je me place en situation d’écoute, de bienveillance. Il est 18h00 ce soir là et le soleil se couche doucement sur le terrain paysager du lycée. L’écoute devient pour moi active. Jeanne s’exprime peu, sa maman aussi. Peu à peu se noue l’indispensable dialogue permettant de découvrir où se situent les noeuds. Notre dialogue reste profondément de l’ordre de l’éducatif et parfois, c’est la casquette du papa que je suis qui pointe son nez… J’essaie toutefois de ne jamais mélanger les rôles pour éviter les confusions et glisser sur le terrain d’une intimité et dimension affective qui n’ont pas lieu d’être. Point écoute, rencontre avec la responsable de vie scolaire, espace pour souffler, temps avec la psychologue scolaire si le besoin s’en fait sentir. Plus d’une heure après, Jeanne et sa maman quittent le bureau, rassurées, un sourire apaisé et une poignée de main qui veut me dire merci, un merci de confiance et d’espoir.

Je sors enrichi de cette rencontre. C’est comme à chaque fois, un moment rare, une véritable pépite éducative. Je note sur un post-it le nom de Jeanne, l’heure et le jour de la rencontre. Je note quelques mots: accompagnement, attention, HP… et Eve! A l’occasion, nous partagerons ce temps de rencontre. Nous nous connaissons suffisamment pour nous dire si je ne suis pas passé à côté de quelque chose, en toute simplicité et humilité. Cela me rappelle le temps où Eve m’a éclairé il y a 5 ans sur un jeune de 4ème, Frédéric…

Mais ce temps si précieux, je le partage volontiers avec les enseignants de l’équipe. Le calendrier m’invite à évaluer chacune et chacun par la note administrative. Ceci est davantage l’occasion de rencontrer chacun. Projets, souhaits, bilan et bien au-delà pour moi, il s’agit de percevoir les questionnements pédagogiques, les idées et outils auxquels nous pourrions réfléchir collectivement. Ici, ce sont des idées qui fusent: tutorat et filière « solidaire », entretiens individuels, pluridisciplinarité; là, il s’agit de savoir comment mieux inscrire l’établissement sur le territoire, accueillir les élèves en situation de handicap et bénéficiant de l’accompagnement d’un AEVS…

Ces temps sont trop précieux pour que je n’y prête pas une attention évidente, bienveillante, exigeante. Esprit curieux de nature, critique, j’ai toujours une admiration sans mesure pour ces collègues, qui malgré les difficultés du métier, les demandes toujours plus importantes du Ministère de tutelle dans un climat qui fait davantage place à la défiance qu’à la confiance, s’interrogent avec justesse sur ce qu’ils peuvent apporter aux élèves! Mon rôle est de les aider, les accompagner, les guider parfois, et jamais décevoir leur soif d’exigence pédagogique. Alors, lorsque le Ministère demande à nouveau de « tester » les élèves, instille un pilotage par les résultats,  envisage une concurrence à venir et mortifère entre établissements, je ne peux que porter leur message d’un véritable projet pour notre école, celle qui participe à la transmission des savoirs, à l’émancipation et forger les citoyens de demain. Je suis un chef d’établissement heureux! Heureux de ces rencontres que je suscite, que j’accepte volontiers. Elles me disent que finalement, nous sommes plus nombreux que nous le croyons à porter les valeurs de cette école qui fait confiance à ses enseignants, ses personnels, les respectent. Derrière les mots, il y a les actes. Je mets un point d’honneur à ce que la cohérence soit au coeur de mon action. C’est l’idée que je me fais de ma fonction. Pour Jeanne et sa maman, pour mes collègues, pour les partenaires du territoire.

Le 10 septembre 2018

Chef d’établissement ou manager ?

A dire vrai, je ne m’étais jamais posé la question. Ou peut-être n’avais-je pas voulu le faire de manière explicite et frontale. Défenseur acharné de cette école qui transmet, qui donne du sens, accompagne les élèves vers la citoyenneté et met l’émancipation au cœur de son projet, voilà quelles ont toujours été mes ambitions. Comme chef d’établissement, j’ai toujours essayé de partager cette démarche collective avec les équipes avec lesquelles je travaille depuis maintenant 20 ans. Ce n’est pas rien 20 ans ! C’est le temps de la maturité professionnelle, de l’approfondissement de la fonction, du recul sur les fondamentaux pédagogiques. Les officines privées, les inégalités ? Une plaie pour l’école et ces ambitions qui nous dépassent, même si selon les contempteurs d’aujourd’hui, les constructivistes sont responsables du déclin de l’école. Cette « insécurité » pédagogique des projets devenant un investissement au service des élèves, aidant ces derniers à réussir leur temps d’école en vue d’une insertion sociale et professionnelle sereine ? Une belle nouvelle frontière éducative !

La conjonction des conservatismes est à l’œuvre ! La petite musique du « nouveau management public » s’est peu à peu imposée dans le discours ambiant de ce "nouveau monde", tellement plus audacieux que ce "vieux monde" tellement caricaturé !

La boussole de l’état d’une société se regarde selon la manière dont l’école est considérée. L’école aujourd’hui subit de plein fouet les attaques d’une société  néolibérale. Me demande-t-on de devenir le manager et d’assumer « le pilotage par les résultats » ? Je ne peux m’y résoudre car cela est une hérésie par rapport aux apprentissages et au bien public qu’est l’école. Il y a quelques années, j’avais écrit que les élèves n’étaient pas une marchandise. Ils sont sur le point de le devenir. L’école tend à devenir un marché ! Les enseignants doivent être performants, évalués à travers les évaluations que l’on demande de mettre en place en CP/CE1/6ème et Seconde ! Chef d’établissement, il s’agirait de piloter l’établissement dont j’ai la charge, l’équipe qui le fait vivre sur les missions de l’école dans la République, par les résultats de ces fameuses évaluations ! En somme, comparaison, concurrence entre établissements, « récompenses » pour les enseignants dits « performants », des parents qui joueraient sur leurs réseaux pour scolariser leurs enfants dans les établissements « réputés »…

Il est assez singulier de voir surgir les fondamentaux d’une école que défendait en son temps….Tony Blair ! Ce « nouveau monde » et cette école de la performance proposée par le Ministre Blanquer n’est que le retour à contretemps du « vieux monde » dont se sont inspirés en leur temps Ronald Reagan puis Margareth Thatcher ! Faciliter le choix des usagers constitue une manière de viser une « normalisation » de l’école et d’en faire un bien comme un autre, au cœur d’un supermarché dans lequel on se sert sur les étals selon des critères publicitaires plus ou moins « justes » !

Je sais les enseignants avides de se former, d’être toujours à la recherche d’outils pédagogiques permettant une vraie transmission des savoirs, de leur organisation, très investis dans l’accompagnement des élèves dans cette démarche d’un esprit critique constructif. La politique d’évaluation est une véritable exigence. Mais elle doit être au service de la réussite des élèves, au cœur d’un projet d’établissement et faisant de l’égalité des chances une démarche véritablement partagée, comme la colonne vertébrale de démarches pédagogiques, non au service d’une idéologie libérale destructrice, mais de la réussite de chacun et donc de tous. Au moment où de nombreux pays tendent à délaisser le pilotage des établissements « par la preuve », notre éducation nationale prend ce chemin ! Cette culture du management public, qu’il soit demandé aux chefs d’établissements ou aux équipes, est un leurre. Au-delà, promouvoir l’école des territoires, idée à première vue séduisante que nous invite à mettre en œuvre « le nouveau monde » est une hérésie au regard de notre histoire, de notre culture. Le nouveau management public en est « l’habillage » aujourd’hui ! Ce modèle nous invite à nous éloigner des missions portées par les écoles dans la République pour emprunter des chemins aventureux ! Plus que jamais la riposte s’impose ! Le pilotage par la coopération est au cœur de mon ADN de chef d’établissement. « L’ancien monde » n’est pas celui que l’on veut nous « vendre » pour emprunter au langage des « néo-libéraux » ! Je serai inlassablement vigilant afin d’offrir, avec mes collègues engagés, le meilleur aux élèves ! Pour que demain ne ressemble pas aux vieilles lunes d’avant-hier !

1er septembre 2018

Petit éloge des professeurs...

Comme à chaque pré-rentrée, je m'interroge sur ce temps et comment lui donner du sens. J'ai pris le parti de dire à mes collègues que ce n'est pas là à la veille d'accueillir les élèves et étudiants qu'il faudrait se mettre au travail. Alors je souhaite qu'il soit un temps de rencontre « à nouveau ». Il fait encore beau dans les têtes et dans les coeurs, le soleil est au rendez-vous. Cela n'a pas manqué cette année encore. Des collègues sont devenus mamans et papas, des mariages ont eu lieu; de nouveaux visages parmi nous; certes, deux jours avant, un collègue a vu sa maison partir en fumée et la solidarité, la chaîne humaine est action...Donner du sens à cette année scolaire qui s'annonce n'est apas anodin.

Je viens de dévorer et partager avec des collègues les interviews du Ministre Michel Blanquer, mais aussi les bonnes feuilles de « La Riposte », qui dénonce « la politique sans boussole ni mémoire » de ce dernier...Et si tout ceci finalement nous invitait à justement trouver l'énergie à offrir en partage aux élèves dès lundi, aux collègues, aux parents, ce sens qui fait des écoles dans la République, les lieux institutionnels qui tiennent leurs promesses, dont celles de justice et solidarité, de fraternité aussi? Les nouveautés semblent nombreuses et finissent presque par donner le tourni: le dédoublement des classes, la méthode syllabique, la semaine de quatre jours, la réforme du baccalauréat, le rétablissement de l’autorité, mais aussi et de manière plus insidieuse, ces arrêtés au coeur de l'été qui ici ou là réduisent des volumes horaires de disciplines, de modules professionnels pour les élèves...

La politique éducative du gouvernement est un bric à brac idéologique qui dit tout et son contraire parfois et peut -être le « en même temps du Président » n'y est pas pour rien! Oui aux hyper-pédagos, oui aux neurosciences, oui à la pédagogie de Maria Montessori...Mais que veut-on? Quel monde nous propose-t-on? Une pincée de formation, une affirmation du respect et de l'autorité du maître, une prime par ci et une autre par là mais..plus loin dans le temps, une évaluation des équipes, une autonomie affichée pour les établissements qui n'est autre que leur mise en concurrence, une réforme de l'apprentissage comme alpha et oméga de cette « nouvelle école », cette école du monde nouveau tellement « plus école » que celle de l'ancien monde...Ah oui, celle où l'émancipation, la transmission des savoirs, l'égalité des chances s'appuyaient sur une vraie réflexion pédagogique nourrie de la mémoire et dont la boussole indiquait clairement la direction. Rien de parfait, comme toute institution dont la chair est la pâte humaine...Mais...Apprendre de ses erreurs, écouter, accompagner, discerner avait du sens. Si seules les comparaisons internationales guident les politiques publiques aujourd'hui, comme celle de notre Ministre, alors, il est aisé de comprendre que la mémoire ne soit pas convoquée, et la boussole mise sous le boisseau.

Ce vendredi, ce sont les projets au coeur de notre pré-rentrée, l'accompagnement des élèves à besoins particuliers, une réflexion sur la transmission et même si cela ne dure que trop peu de temps, une réflexion sur l'utilisation des outils numériques au service de...et non pas pour eux mêmes. Ici ou là, une question sur la pluri-disciplnarité, les liens avec les éducateurs de vie scolaire...Je peux simplement dire que je suis particulièrement fier de me trouver autour de la table avec ces enseignant(e)s qui ont chevillé au corps cette énergie au service de l'ambition éducative pour que le désir d'apprendre devienne un vrai plaisir. C'est aussi l'occasion de donner de l'espace à de nouvelles expérimentations comme la mise en place d'entretients individuels, ou la mise en place d'une filière « solidaire » entre les élèves de classe de seconde, première et terminale. A notre manière, nous organisons cette riposte contenue dans l'ouvrage de Philippe Meirieu. Nous l'organisons avec nos outils, notre regard, des enseignants qui ont soif de formation. Le bonheur d'être chef d'établissement, c'est aussi faire en sorte de se mettre en « insécurité » éducative en permettant aux initiatives des enseignants de voir le jour, de faire éclore des regards, des réflexions, parfaire des démarches...Bref, la démarche « essai-erreur » est aussi le sel de la mission de l'enseignant. Parce la ligne est la fidélité à une certaine exigence de pensée, la grande affaire de la pédagogie au quotidien demeure « convaincre sans vaincre ». Alors, au-delà des enseignants, éducateurs dont j'ai le bonheur de partager le quotidien, dont je sais les difficultés de leurs quotidien, la volonté de donner aux élèves les clés « de la maison » pour demain, ce soient ces derniers qui les transmettent aux générations futures, je veux leur dire par avance merci et bravo! Vous êtes de superbes artisans qui accompagnent sur le chemin de la connaissance et de l'émancipation, les élèves dont vous croisez le chemin. Vous méritez la considération de la République. Mais dans chaque établissement, c'est celle des élèves qui parfois le disent maladroitement avec leurs mots, comme des parents pour qui l'école n'a pas toujours été un long fleuve tranquille. Alors, belle année à chacune et chacun d'entre vous!

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Bientôt la rentrée...

Comme chaque fin d'été, je mets un peu d'ordre sans « ma cabane », celle qui me sert de hâvre de paix durant ces quelques semaines de pause estivale. Pas de devoirs de vacances, mais simplement quelques ouvrages que je n'ai eu le temps de lire au cours de l'année scolaire, des activités en famille... prendre le temps, du temps ; pour soi et les autres, ce que l'on aime. Un chef d'établissement est aussi et probablement davantage attaché à l'humain, par goût, par son éducation, par ses rencontres au quotidien avec les élèves, étudiants, collègues, parents, acteurs du secteur associatifs, élus...

C'est aussi quelques CD aussi bien de jazz, de musique classique, variété ou métal...Les maisons de la presse sont pour cela des lieux magiques : trouver des magazines, des suppléments à ceux ci comme si le supplément était « le cadeau » qui allait donner du sens à la revue, des « compilations » de musiques oubliées, improbables, mais que je n'aurai jamais autrement écoutées... Et c'est avec gourmandise que « je tombe dans le panneau »! Je ressors de ces cours du miracle les bras chargés... Du papier, des lectures, des suppléments avec des « cahiers de vacances » que je ne remplirai certainement pas ou seulement l'été suivant...

Pas de devoirs de vacances donc, mais dans un coin de ma tête, les dossiers de la rentrée, déjà « ouverts » à la fin de l'année passée... Le Plan mercredi, la réforme du lycée professionnel, le bac 2021, parcoursup, la sécurité : des noms « barbares » pour beaucoup, et parfois absconds même pour moi-même, alors que cette année, c'est ma vingtième rentrée comme chef d'établissement ! J'ai hier – le 16 août - repris le chemin de mon bureau. Un établissement « sans élèves, collègues, parents, sans vie » a autant de sens qu'une boulangerie sans pain ou qu'un journal sans lecteurs ! J'ai repris le chemin avec « appétit », énergie, en me disant que l'essentiel, était de rester fidèle à mes convictions selon lesquelles l'école est le lieu par excellence de l'accompagnement de l'émancipation des citoyens en devenir que nous contribuons à former...Les conditions de travail des collègues enseignants et personnels administratifs et techniques doivent être à la heuteur de la mission, les parents accueillis, les acteurs et partenaires respectés et écoutés. C'est tellement davantage l'école, les écoles dans la République ! C'est l'Histoire que nous poursuivons à la suite de tous les éducateurs du siècle des Lumières, et pour n'en oublier aucun, je n'en citerai donc aucun ! Cette responsabilité confiée est écrasante, mais aussi tellement enthousiasmante par ce qu'elle implique pour demain, pour la société de coopération pour laquelle je m'investis chaque jour, que cette forme de bonheur « égoïste » m'envahira lorsque le premier élève franchira le 3 septembre, le portail du lycée ! J'ai en mémoire ces dizaines de « Frédéric » qui ont croisé mon chemin, élèves dits « à besoins particuliers », qui obtiennent leur Certificat de Formation Générale – CFG - ou bien trouveront leur voie dans un Dispositif d'Initiation aux Métiers en Alternance – DIMA, en Section d'Enseignement Profesionnel Adapté – SEGPA... Je pourrai multiplier les exemples, mais si je vous avais parlé de BTS ou bac S ou ES, je n'aurais pas eu besoin d'expliciter les sigles... S'il y a de la noblesse à accompagner un(e) élève qui a 18 de moyenne en classe de terminale S – bien que cette dénomination soit en voie de disparition - il y en a tout autant à offrir une attention aux plus fragiles. Cela en dit aussi long sur le regard de la société sur « les fragilités » en son sein ! Oui, une société fondée sur la coopération a plus de valeur pour moi que celle fondée sur lé concurrence qui vise à écraser le plus faible, même si ses tenants parlent de la réguler – pour rendre la douleur moins intense certainement !

Je m'étais promis de ne pas écrire un texte engagé, mais je suis incorrigible! Choisir d'être au service de l'école, c'est s'engager ! Je demeure un fervent partisan de ces pédagogues qui croient en cette école émancipatrice, créatrice, innovante, accueillante ; cette école qui donne une chance à tous pour que dans un « temps long de l'Histoire», la misère – expression si juste utilisée par ATD Quart-Monde et Geneviève Anthonioz De Gaulle, sous toute ses formes ne soit pas une violence de plus! L'école n'est jamais aussi elle même que lorsqu'elle est fidèle à ses missions dont la transmission des savoirs demeure le coeur, au service d'une société solidaire. Je serai au rendez-vous de cette rentrée, comme de très nombreux collègues !