Après la décision du nouveau président de la République de faire lire dans toutes les classes de France la lettre de Guy Môquet :

Quand un candidat, dans le cadre d’un meeting de campagne, déclare vouloir liquider l’héritage de mai 68 et « restaurer l’autorité », il est normal qu’on puisse exprimer ses craintes et, même, qu’on évoque les dérives passées de tous les « rappels à l’ordre ». En revanche, quand un président de la République élu qui vient de prendre ses fonctions décide de faire lire à tous les lycéens de France la lettre écrite par Guy Môquet à ses parents en 1941, à la veille de son exécution, on ne peut que saluer le geste symbolique. Cette lettre est celle d’un jeune militant communiste exécuté comme otage et qui demande à ceux qui restent d’être « dignes » des 27 sacrifiés. Elle est particulièrement émouvante et susceptible de permettre à des adolescents de réfléchir sur la manière dont notre nation s’est construite, sur les sacrifices et les combats pour la liberté qui ont jalonné son histoire. Elle ne saurait toutefois se suffire à elle-même. Il faudra expliquer aux lycéens le contexte de cette exécution : le démarrage de la Résistance en août 1941, les ordres d’Hitler qui exige, dans le cadre de la lutte contre le « judéo-bolchévisme », l’exécution d’otages communistes et juifs, l’assassinat des 27 otages de Chateaubriant par les hommes de Vichy pour sauver les 50 notables désignés par les Allemands, les déportations massives avec la collaboration du régime de Pétain et la montée en puissance de la Résistance… En réalité, ce qu’il faut transmettre aux lycéens, au-delà de l’immense et nécessaire respect dû à un jeune militant martyr, c’est la capacité à discerner les signes de la montée de la barbarie, où qu’ils soient et d’où qu’ils viennent. Pourquoi Guy Môquet s’est-il engagé ? Pourquoi et à quoi a-t-il résisté ? Qu’est-ce qui pouvait pousser un jeune homme de 16 ans, en 1940, à distribuer des tracts du Parti communiste ? Quelles valeurs étaient en jeu ? Il s’agit d’aider les lycéens à comprendre que le combat pour la démocratie et la dignité des hommes n’est pas un combat périmé, que la civilisation est encore bien fragile, que la planète reste menacée par bien des dictatures et que l’engagement pour la liberté n’est pas seulement un objet de commémoration. Il faut des célébrations. Il faut des actes symboliques. Mais il ne faut pas qu’ils nous exonèrent d’une réflexion de fond et d’une vigilance citoyenne quotidienne.

Philippe Meirieu

En complément, quelques lignes de Philippe Watrelot, des Cahiers pédagogiques, auxquels je souscris totalement : « Tant qu’à lire des lettres de résistants on peut en trouver d’autres qui disent plus sur ce que fut l’esprit de la résistance. Par exemple celle-ci de Guido Brancadoro, fusillé en 1942 à l’âge de 21 ans : “Ce sont les Français qui me livrent, mais je crie “Vive la France”, les Allemands qui m’exécutent, et je crie “Vive le peuple allemand et l’Allemagne de demain”. On peut aussi évoquer, à l’heure où l’on va créer un ministère de l’immigration et de l’identité nationale, le poème d’Aragon sur le groupe Manouchian (“L’affiche rouge”) : “ Ils étaient 23 étrangers et nos frères pourtant qui criaient la France, en s’abattant ”. »