ATTITUDE

Pour assumer la fonction d'enseignant, c'est-à-dire pour fournir au plus grand nombre d'élèves les concepts et la volonté qui leur permettront de comprendre et de maîtriser le monde dans lequel ils seront insérés, l'Ecole a besoin, plus que jamais, d'outils et de dispositifs élaborés ; elle a besoin de mobiliser toutes les techniques qui sont à sa disposition, sans exclusive ni anathème, afin de répondre, par la variété des itinéraires et des supports d'apprentissage, à l'hétérogénéité des élèves.

La montée inéluctable de cette l'hétérogénéité peut être une chance, d'ailleurs, pour l'Ecole, à condition que les maîtres renoncent à placer la reproduction d'un modèle formel de la classe, ou tout le monde fait la même chose en même temps, comme critère essentiel de la réussite pédagogique. La conformité aveugle à ce modèle - d'ailleurs fort récent dans l'histoire des institutions éducatives - est aujourd'hui le verrou majeur à la transformation positive des pratiques.

Plus que jamais, il convient de « mettre les élèves au travail dans la classe » ; cela ne veut pas dire que l'on renonce à des temps d'information magistrale et collective, mais cela veut dire que, pour une grande part, ont fait appel, pour communiquer l'information, à des médias plus souples et plus susceptibles de pratiques individualisées (textes écrits, enregistrés, documentes de toutes sortes, programmes informatisés, enquêtes, observations, etc.). Ceci étant fait, l'essentiel du temps scolaire doit être consacré non pas à dire, mais à faire faire et a se mettre au service de chaque élève dans son apprentissage .

Le rôle du maître est alors d'observer comment chaque élève travaille, de repérer ses points forts et ses centres d'intérêt, ses lacunes et ses difficultés méthodologiques, afin de l'aider à s'appuyer sur les premiers pour surmonter les secondes. C'est aussi de confronter avec lui, de manière permanente, les résultats qu'il obtient et les méthodes qu'il utilise, afin de l'amener à construire progressivement son autonomie.

Dans cette perspective, il convient que la recherche pédagogique se développe de manière rigoureuse de façon a dégager, avec les praticiens, les indicateurs significatifs permettant de déterminer les méthodes les plus appropriées aux objectifs que l'on se fixe et les plus adaptées aux élèves avec lesquels on travaille.

Mais, si les résultats de cette recherche peuvent être particulièrement précieux, ils ne doivent jamais être appliqués de manière mécanique sous peine d'aboutir à des formes plus ou moins cachées de dressage. C'est la négociation avec l'élève qui est véritablement formatrice ; c'est quand l'exigence du maître est confrontée de manière vivante avec la personne de l'élève que, dans le dialogue - parfois dans le conflit - affleure l'éducation.

C'est pour cela qu'en pédagogie tout ce qui fait la différence (au point parfois de rendre efficaces des dispositifs approximatifs, ou stériles des méthodes particulièrement bien élaborées) c'est "l'attitude" de l'adulte . Malgré son aspect irritant pour les didacticiens, une telle proposition est très largement confirmée par les propos recueillis auprès des élèves et des psychothérapeutes qui reçoivent leurs confidences.

Si l'on cherche, alors, à définir « l'attitude positive », celle qui « fait grandir », on ne trouve vraiment rien d'autre que la confiance et l'empathie, la reconnaissance de la personne et la foi dans son éducabilité .

Cette attitude n'a rien à voir avec des débordements d'affectivité plus ou moins frelatée, ni avec un psychologisme sauvage. C'est, au contraire, une tranquille certitude qui construit avec l'élève, contre vents et marées, un contrat d'exigence réciproque. Elle s'enracine dans la personne du maître et se manifeste dans chaque détail de la vie quotidienne de l'école. ..

Il serait néanmoins grave et dangereux d'affirmer que cette « attitude-là » est un don, un charisme personnel de quelques élus. Car si, de toute évidence, cette attitude n'est pas "formable" selon les processus habituels de la formation, elle peut se diffuser par contagion ou, mieux encore, par ricochets: quand une personne a grandi grâce a l'aide d'un formateur, quand il a pu observer ce qui avait contribué à son équilibre, alors, sans doute, sera-t-elle un peu plus capable d'avoir avec autrui cette attitude qui l'a elle-même aidée.

Mais pour que cela puisse advenir, encore faut-il que les maîtres soient mis eux-mêmes en situation de "travail pédagogique", d'élaboration d'outils et de méthodes... C'est en se trouvant ainsi, pour un temps, « du même côté du savoir que l'élève » qu'ils se construiront progressivement cette qualité essentielle: se centrer sur la genèse du savoir chez l'élève, plutôt que sur son exposition par le maître...

Et reinventons, pour conclure, le problème de la poule et de l'oeuf : car, si nous pouvons dire que c'est "l'attitude" qui fait la réussite ou l'échec d'un dispositif, nous pouvons tout autant affirmer que certains dispositifs sont susceptibles de faire émerger des attitudes, ou, au moins, d'en faciliter l'émergence... Mais la question de la poule et de l'oeuf est une question de théoricien, qui n'a jamais constitué un obstacle décisif au développement des poulaillers! Qu'il en soit de même pour nous; puisqu'il apparaît que nous disposons de deux entrées et qui sont, chacune, susceptibles de nous donner prise sur la réalité, considérons que nous avons ainsi deux fois plus de chances de transformer l'Ecole: par la mise au point de méthodes toujours plus rigoureuses et par une réflexion toujours plus approfondie sur les attitudes des personnes. Certains utopistes iront même jusqu 'a dire qu' en associant les deux....

Philippe MEIRIEU

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