AUTOFORMATION

Disons-le d'emblée, et aussi provocateur que cela puisse paraître, il n'y a d'apprentissage véritable qu'en autoformation . En d'autres termes, il n'y a de savoir authentique que parce qu'un sujet construit des connaissances en élaborant des réponses aux questions qu'il se pose, en cherchant des informations lui permettant de surmonter les obstacles qu'il rencontre, en élaborant des schèmes d'action répondant à des familles de problèmes qu'il sait identifier, en ajustant ses propositions en fonction des aléas qui se présentent, en adaptant ses comportements en fonction de situations nécessairement imprévisibles, en réinvestissant progressivement ses acquis pour accroître sa capacité à apprendre et à apprendre encore.

Allons plus loin : il n'y a de véritable formation que par alternance . En d'autres termes, nous ne nous formons que parce que parvenons à établir une véritable dialogue entre des situations qui nous font problème et des connaissances qui nous aident à construire des solutions. Mais, contrairement à ce que l'on croit parfois, les problèmes ne se trouvent pas seulement dans la "pratique" et les solutions dans la "théorie" : il arrive même bien souvent que ce soit l'inverse qui se produise... on découvre, en stage, autant de réponses que l'on y rencontre de difficultés et, en "formation théorique", l'on entrevoit autant de questions que l'on ne trouve de réponses. Peu importe d'ailleurs : car l'essentiel est dans la dialectique question/réponse, l'essentiel est dans le processus de formation qui met le sujet en dynamique d'apprentissage.

De ces quelques évidences, on peut tirer deux conséquences décisives : " il n'y a de pédagogie que du désir " et " il n'y a de pédagogie que du dispositif ". Il n'y a de pédagogie que du désir ou - si l'on préfère une formulation plus conventionnelle - "il n'y a de pédagogie que du projet". L'essentiel est de mettre le sujet en situation de demande de savoir et non de lui fournir des connaissances. Car on connaît peu d'exemples où un sujet qui désire vraiment savoir ne réussisse à apprendre ; mais nous voyons chaque jour une multitude de personnes subir des formations dans lesquelles on s'efforce désespérément de répondre à des questions qu'elles ne se posent pas et qui n'en retiennent que quelques "utilités" qu'elles pourront faire valoir lors de l'évaluation et s'empresseront d'oublier par la suite !

Et "il n'y a de pédagogie que du dispositif" : à condition d'entendre ce terme comme une situation créée par le formateur et dont l'objectif est de mettre l'apprenant en position d'assurer lui-même sa propre formation. "Situation-problème" disent les uns ; "méthodes actives" disent les autres... Peu importe ici l'étiquette. Rousseau a déjà dit l'essentiel : "Tout faire en ne faisant rien." Organiser, disposer, préparer, poser des problèmes, mettre l'autre en situation de franchir des obstacles, lui fournir les ressources nécessaires. Mais ne jamais se substituer à lui ni faire les choses à sa place. parce que l'éducation d'une personne n'est pas la fabrication d'un objet et que je ne peux jamais décider d'apprendre à la place de l'autre. C'est pourquoi tout formateur doit souvent méditer sur la fameuse boutade de Lacan : "Si je me mets à la place de l'autre, l'autre où est-ce qu'il se mettra ?"

                                                            Philippe MEIRIEU