Pédagogie : le devoir de résister Note de lecture de Pierre FRACKOWIAK Un livre qui fait du bien et qui donne des armes |
Tant d'énergie dépensée par tous ceux qui se sont efforcés au fil des années de transformer l'école pour qu'elle réponde à la fois aux enjeux d'une société en mouvement et à une conception moderne de l'homme et de la démocratie, tant de générosité et tant d'ambition, pour voir le triomphe du conservatisme… Tant de pièges à déjouer jusqu'à la médicalisation des problèmes éducatifs qui dessaisit les enseignants de la grandeur de leur fonction, la technicisation de l'enseignement qui dissimule les vrais problèmes sous des aspects pseudo scientifiques, "l'évaluationnite" qui évalue les élèves sans analyser les pratiques qui les conduisent là où ils sont, l'état de l'opinion publique manipulée qui fait que même les victimes de l'école d'antan revendiquent son retour… Tant de mauvais procès faits aux prétendus "pédagogistes", de caricatures, d'approximations, de méconnaissance de la réalité de la vie des classes, d'inculture historique… Tant d'aides espérées chez ceux qui affirmaient que l'éducation était au cœur de leur projet et qui, conditionnées par la maladie de l'électoralisme à court terme et parfois manquant de courage, ont fait défaut en fuyant le champ de la réforme. Tant de complaisance et de complicité de soi-disant progressistes qui ont adopté des positions plus réactionnaires encore que celles de conservateurs patentés… La vie de ceux qui agissent pour changer l'école a été rude ces dernières années et elle l'est encore. Accusés de "fabriquer des crétins", alors qu'ils s'étaient investis pour construire une nouvelle école pour le 21ème siècle et que les progrès, certes insuffisants encore, étaient incontestables, ils commençaient à être saisis par le découragement, la résignation, le désespoir et parfois même le doute face à la puissance du conservatisme et à ses arguments de café du commerce. 2002 puis l'ère de ROBIEN, période horrible pour l'école, à faire baisser les bras aux pédagogues les plus engagés et les plus courageux. Penser que, dans 20 ou 30 ans, face au désastre de l'école, il faudra refaire la rénovation pédagogique des années 70, réinventer la loi d'orientation de 1989, remettre l'élève au cœur du projet éducatif, reprendre la réflexion sur le sens des apprentissages scolaires et sur la manière de former des citoyens responsables, rappeler que l'enfant de 2030 n'est plus celui de 2007 comme celui de 2007 n'était plus celui de 1900, ressortir des cartons les propositions inspirées par les grands penseurs de notre temps. Le livre de Philippe MEIRIEU vient à point nommé pour leur redonner de la confiance, de l'espoir, du courage et des arguments. Il vient à point nommé pour faire comprendre à ceux qui le pensent qu'il est impossible de résoudre les problèmes d'aujourd'hui, pour les enfants d'aujourd'hui, avec les solutions d'autrefois. L'école serait le seul domaine de la vie d'une société où, considérant que les performances du TGV sont encore insuffisantes, on remettrait les diligences sommairement repeintes sur ses rails. Philippe MEIRIEU, avec la clarté, la culture, la sensibilité et l'intelligence qu'on lui connaît, redonne d'abord de l'espoir aux rénovateurs de l'école, aux progressistes, aux enseignants qui, dans le cadre d'instructions officielles qui ont évolué de 1969 à 2002 dans une assez remarquable continuité républicaine, ont déployé des efforts considérables pour prendre en compte à la fois l'évolution des enjeux majeurs pour la société et l'évolution des enfants qui ont besoin de comprendre et d'agir pour apprendre. Son livre aurait pu être une préface au livre précédent, "Ecole: demandez le programme" (ESF Café pédagogique. Août 2006), mettant de la lumière sur les propositions qui y sont présentées. Il vient après mais il conviendrait de les associer dans nos lectures: l'un traçant des éléments fondamentaux d'un projet éducatif et d'un programme, celui-ci démontrant l'impérieuse nécessité de comprendre que "la pédagogie est au cœur de la modernité" (page 41) et qu'elle est le levier indispensable pour que "l'éducation ne reste pas une activité marginale au service d'une économie triomphante et qu'elle devienne ce qui irrigue toute la société et lui permet de se projeter dans l'avenir" (page 40). Le sens de l'histoire et la mise en perspective, le juste poids des mots, la complexité des contextes, les réalités et leurs représentations, les évidences et le démontage soigné des partis pris et des illusions y sont synthétisés pour éclairer la voie de la construction d'une école réellement démocratique. La thèse, "Nous ne ferons face aux défis de la modernité que si nous sommes capables de nous recentrer sur le pédagogique qui, seul, nous donne la clé pour avancer dans les contradictions que nous avons à affronter", est forte. Sa pertinence est largement démontrée au fil de 11 chapitres parmi lesquels on distinguera quelques titres évocateurs: - éduquer, une vieille histoire - accompagner l'émergence de la liberté - les fondamentaux de la pédagogie - reconstruire l'autorité - instituer l'élève-sujet - ouvrir les possibles… Reprenant sa question initiale: "Faut-il en finir avec le pédagogisme?", Philippe MEIRIEU ajoute un chapitre consacré à une présentation d'une série de "penseurs" et "d'acteurs" célèbres qui ont pu ou auraient pu être combattus comme pédagogistes et qui ont su résister et nous permettre, aujourd'hui, d'espérer encore. On en compte 39, de Ibn Khaldun (1332-1406) à Ivan Illich (1926-2002) en passant par Comenius, Pestalozzi, Jean Bosco, Jean-Marc Itard, Pauline Kergomard, Ferdinand Buisson, John Dewey, Francisco Ferrer, Maria Montessori, Ovide Decroly, Janusz Korczak, Célestin Freinet, Jean Piaget, Lev Vygotsky, Fernand Oury, Paulo Freire… Philippe MEIRIEU pourrait être le 40ème, s'il n'était l'auteur du livre, ajouté à cette liste avec tous les enseignants progressistes qui, dans les classes au quotidien, depuis plus de 30 ans, s'évertuent à transformer l'école, à améliorer ses performances, à permettre aux élèves d'y être plus heureux. Un livre à lire parce qu'il "est bon pour le moral" et parce qu'il aide à résister et à évoluer. Un livre à débattre car les pédagogues sont naturellement opposés à la pensée unique.
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