COMPRENDRE ET REPENSER LE COLLEGE

 

1-DIAGNOSTICS ET TENTATIVES :

De toute évidence, le problème majeur du collège est constitué par l'hétérogénéïté des classes, la difficulté pour les enseignants de faire travailler des élèves de niveaux scolaires différents, de rythmes différents, ayant des stratégies d'apprentissage différentes, des rapports aux savoirs différents. De telles constatations, déjà anciennes, ont donné lieu à des propositions successives d'aménagement qui se sont avérées comporter toutes, à l'expérience, des inconvénients notables :

- la division en filières où devaient être mises en oeuvre des formes différentes de pédagogie (sixièmes 1, 2 et 3) a bien donné lieu à des expériences intéressantes, en particulier dans les filières 2 et 3, mais les effets de "ghettoïsation" se sont avérés beaucoup plus importants que les avantages...

- la mise en place du cursus unique ("réforme Haby") associée à l'organisation d'une pédagogie de soutien avait pour vocation de casser la filiarisation et les phénomènes d'exclusion qu'elle engendrait et d'introduire des remédiations pédagogiques en fonction des besoins des élèves. En réalité, les deux effets ont été manqués :

* la fusion des filières 1, 2 et 3 a provoqué de facto la disparition des pratiques pédagogiques originales nées en sections 2 et 3 et l'alignement sur les pratiques pédagogiques des sixièmes 1, plus prestigieuses, mises en oeuvre par des enseignants mieux rémunérés et auxquelles on attribuait indûment la réussite des élèves de cette section.

* les cours de soutien ont été utilisés, dans leur immense majorité, avec des classes complètes "pour finir le programme" (d'après la Commission du Bilan, 15% des moyens offerts pour le soutien lui ont été effectivement consacrés).

- l'organisation systématique du "travail indépendant" qui a été tentée dans les années 70 dans plusieurs collèges et qui consistait à supprimer toute forme de cours collectif pour les remplacer par des fiches individuelles de progression semblait pallier ces difficultés. On évaluait le niveau initial de l'élève et on lui proposait de travailler individuellement et à son rythme. Dans certains cas, on est allé jusqu'à supprimer toute forme de classe. Mais les difficultés, la aussi, ne tardèrent pas à apparaître: lassitude des élèves devant un type de travail trop monotone, large appel à la divination, absence de socialisation et de formation à l'écoute, sélection des élèves bien adaptés à un type de méthode bien particulier.

- l'organisation des groupes de niveau-matière a été, c'est certain, dans le cadre de la rénovation des collèges, un bon déclencheur du travail en équipe des maîtres. Par ailleurs, le fait qu'un élève puisse être dans un niveau donné dans une matière et dans un autre niveau dans une autre matière évitait un peu les dangers de la filiarisation. De plus l'organisation d'évaluations régulières (quand c'était le cas) devait permettre le passage d'un groupe de niveau à un autre au sein d'une même matière. Toutefois, à l'expérience, il faut noter que les groupes de niveau-matière ont eu une fâcheuse tendance à se stabiliser très tôt définitivement et à être regroupés pour constituer des classes de niveau. Cette stabilisation   a entraîné, selon les cas, soit leur abandon, soit le choix d'une filiarisation clairement annoncée.

- la mise en place de "classes spéciales", dont l'exemple le plus remarquable est, sans doute, la quatrième et la troisième technologiques a permis une avancée pédagogique très intéressante. Mais, il reste un "effet système" qui fait que ce qui devrait être une alternative pédagogique, permettant de revenir ensuite dans le "système normal", est toujours récupéré comme un moyen pour faire effectuer une orientation prématurée aux élèves qui sont, précisément, les moins préparés pour cela.

- l'organisation de structures d'aide au travail personnel des élèves, le plus souvent en dehors des heures "normales" de classe a représenté, indubitablement, un effort pour aller vers une démocratisation du collège: en aidant les élèves les plus en difficulté à s'approprier les connaissances transmises en cours, en faisant effectuer des apprentissages méthodologiques fondamentaux (apprendre une leçon, réviser un contrôle, etc...), on pensait faciliter la gestion de l'hétérogénéité en "compensant" les handicaps socioculturels. Mais plusieurs problèmes sont vite apparus: ne surchargeait-on pas des élèves déjà saturés par l'école? Qui était habilité à faire cette aide au travail personnel? En l'effectuant en dehors des cours, ne cautionnait-on pas l'immobilisme et le caractère transmissif de ceux-ci?

- la mise en place des cycles en trois ans : l'organisation d'une réelle progression en trois ans a été extrêmement rare; dans la plupart des cas, et malgré les déclarations faites aux parents et aux élèves, il s'est agi d'un "redoublement déguisé", voire d'une pré-orientation vers l'enseignement technique ou les CPPN, CPA...

 

2-LE PROBLEME DE FOND ou "L'ALLER-RETOUR PERMANENT"

En réalité, si l'on observe ce qui s'est passé dans les collèges depuis une vingtaine d'années, on observe que l'on a toujours oscillé entre deux formules :

- regrouper des élèves ayant des difficultés spécifiques pour leur fournir une pédagogie spécifique... mais avec le risque de la filiarisation, du ghetto et de l'exclusion scolaire qui prépare l'exclusion sociale.

- mettre ensemble les élèves au nom d'un idéal de socialité démocratique, en misant sur la stimulation réciproque et en tentant d'introduire ponctuellement des compensations... avec le risque qu'en donnant à tous la même pédagogie on creuse encore plus les écarts et qu'en fournissant des compensations ponctuelles on accroisse la charge de ceux qui sont déjà en situation de rejet scolaire.

Ainsi, régulièrement, on a vu les collèges et les directions du Ministère basculer d'une formule à une autre et argumenter des défauts de l'une pour revenir à l'autre !

 

3-POUR SORTIR DU DILEMME

Il me semble que le seul moyen, pour sortir de ce mouvement de bascule, soit de rompre avec la "logique de la classe" et de s'acheminer vers une partition du temps scolaire qui réunisse les deux exigences "contradictoires". Concrètement cela veut dire qu'il devrait être possible:

- de conserver les classes hétérogènes pour une partie du temps scolaire affecté à chaque discipline (entre la moitié et les deux tiers);

- de proposer, pour une autre partie du temps scolaire, une reventilation des élèves en "groupes de besoin". Cette reventilation pouvant prendre deux formes que nous avons expérimentées sous les noms de "groupes en parallèle" et de "travail complémentaire".

*les "groupes en parallèle" sont une forme de différenciation assez traditionnelle: les emplois dutemps des différentes classes sont "en barrette" pour une partie du temps scolaire dans chaque discipline et les élèves sont reventilés avec les enseignants en fonction des besoins qu'ils ont pendant ce temps là.

*le "travail complémentaire" est une forme plus radicale mais, à mon sens, plus intéressante: selon une périodicité à définir (qui peut être la quinzaine), les enseignements par classes sont interrompus et, pendant une ou deux journées, les élèves sont répartis dans des groupes de besoin, sur des objectifs déterminés mais sans respecter nécessairement l'horaire hebdomadaire par discipline. En d'autres termes, toutes les heures de "groupes de besoin" sont mises dans un "pot commun" et proposées aux élèves de telle manière, par exemple, qu'un élève qui a besoin de faire trois heures de "travail complémentaire" en mathématiques et aucune heure en sciences naturelles puisse le faire.

Dans les deux cas on peut envisager une répartition des élèves par les enseignants dans les différents groupes ou un choix par les élèves eux-mêmes de leurs groupes de travail; une formule "en biseau" permettant de passer d'une désignation par les enseignants à un choix par les élèves est particulièrement intéressante... surtout si elle est accompagnée d'un suivi scolaire méthodique permettant à l'élève de comparer régulièrement les moyens qu'il prend et les résultats qu'il obtient.

Ces formules se sont avérées très intéressantes à l'usage et les évaluations ont été particulièrement positives (progression en cours d'année supérieure de plus de 18% à celle du groupe témoin pour la formule du "travail complémentaire").

Parmi les avantages de ces formules, citons :

- l'obligation, pour les élèves et les enseignants, d'avoir une attitude diagnostique par rapport à leurs difficultés;

- le caractère dynamogène de la participation à un cours sur un objectif précis;

- la nécessité pour les enseignants d'homogénéiser leurs objectifs et de différencier leurs pratiques.

Parmi les difficultés rencontrées, citons:

- les résistances dues à la nécessité du travail de groupe,

- l'illusion qu'après les "groupes en parallèle" ou le "travail complémentaire" tous les élèves auraient atteint le même niveau pour le retour en classes hétérogènes. Des retards subsistent et il faut parier que la phase suivante de différenciation permettra de repérer leurs origines et de les surmonter...

  En ce qui concerne les conditions nécessaires à ce travail, il faut noter que, comme le soulignait le Rapport Legrand, l'essentiel est qu'il existe des ensembles de classes constituant des mini-collèges et où un groupe d'enseignants effectue la majorité de son temps de service; c'est là la condition du "team-teaching" (enseignement en équipe), sans lequel la différenciation pédagogique risque de rester limitée au cadre strict de la classe.

 

4 - QUELQUES AUTRES PROPOSITIONS POSSIBLES :

- substituer au carnet de notes et au bulletin trimestriel habituels un véritable "outil de suivi scolaire" comportant les référentiels d'objectifs, les groupes auxquels l'élève a participé, les résultats obtenus, etc....

- imposer que les enseignants consacrent une partie du temps scolaire avec les élèves à de "l'entraînement" au travail personnel ;

- développer au maximum le monitorat entre élèves dont les résultats sont plus que probants ;

- organiser des ateliers de création interdisciplinaires susceptibles d'introduire pour tous les élèves du collège une véritable pratique artistique; supprimer pour cela le découpage en heures isolées de dessin et musique ; 

- permettre d'organiser certains enseignements sur l'année sous forme de stages (exemple: la géologie en quatrième);

- supprimer le BREVET DES COLLEGES sous sa forme actuelle: proposer à la place la formule expérimentée dans plusieurs collèges de 1982 à 1986 : chaque élève doit rédiger et présenter un dossier documentaire sur une profession ou un secteur professionnel de son choix; ce dossier doit comprendre différentes approches: historique, littéraire, économique, statistique; etc... Il doit en travailler la présentation et l'orthographe, y inclure un texte en langue étrangère et le soutenir devant un jury composé d'un enseignant, d'un professionnel de la branche considérée et d'un parent.

... et, bien sûr, reconstruire les programmes autour d'un tronc commun d'objectifs-noyaux peu nombreux mais sur lesquels les exigences seront très fortes. Ce qui permettrait, par ailleurs, aux enseignants d'exercer leur liberté d'initiative sur le plan des supports et des "connaissances latérales" mobilisées.

Philippe MEIRIEU