Les clés pour comprendre et les moyens pour se faire entendre

 

Il faut se féliciter, à tous égards, de la publication de cet ouvrage destiné aux parents d'élèves de collège. Trop souvent, en effet, les parents sont tenus à l'écart de l'Ecole et doivent aller glaner des informations ici ou là, au risque de passer à côté de l'essentiel, voire d'apparaître comme importuns aux yeux des professeurs et des cadres de l'institution scolaire.

Or tout parent d'élève a le droit d'être informé précisément sur ce qui se passe dans le collège. Il doit connaître les événements qui en rythment l'année, les méthodes d'enseignement qui y sont utilisées, les exigences que l'institution manifeste auprès des élèves et de tous ses acteurs, les instances qui décident des orientations individuelles et collectives. Il doit être informé de tout cela à un double titre : en tant que « parent d'un ou d'une élève scolarisé dans l'établissement » et en « tant que parent citoyen », membre de la « communauté éducative » et participant du projet de l'Ecole de la République en général et au projet éducatif du collège de son secteur en particulier.

Certes, ces deux identités ne sont pas facilement compatibles : le père ou la mère de Camille - puisque c'est de Camille qu'il est question ici - veulent légitimement les meilleures conditions de scolarisation pour leur fille ; ils sont soucieux qu'elle soit dans une « bonne classe », avec des « bons professeurs », qu'elle ne croule pas sous le travail à la maison mais en ait suffisamment pour bien assimiler le programme, qu'elle ait de bonnes notes... et, même, des notes plutôt meilleures que celles de ses camarades pour pouvoir passer en classe supérieure et dans les « bonnes filières » sans difficulté. A cet égard, les parents de Camille peuvent être tentés de faire pression sur le chef d'établissement ou sur les professeurs, de se manifester pour protester devant ce qu'ils considèrent comme des injustices, de réclamer plus de langue vivante et moins d'éducation physique ou plus de musique et moins de géographie. Bref, les parents de Camille peuvent se comporter comme des « avocats » systématiques de leur fille, soucieux, avant tout, de l'intérêt de leur progéniture et prêts à tout - ou presque - pour favoriser sa réussite... Mais les parents de Camille sont aussi des citoyens de la République et, à ce titre, ils sont concernés par les finalités de l'Ecole et par la manière dont elle les atteint : ils sont sensibles, évidemment, au fait qu'indépendamment du sort de leur fille, le collège ne laisse personne au bord du chemin sans lui avoir enseigné les savoirs fondamentaux. Même s'ils sont inquiets des « mauvaises fréquentations » que peut avoir Camille, ils croient aux vertus de la mixité sociale et voient bien l'importance qu'il y a à ce que le collège permette à des enfants d'origines différentes de se rencontrer pour apprendre à se respecter et à vivre ensemble...

Alors, il arrive que les parents de Camille soient écartelés : entre, d'une part, l'intérêt scolaire immédiat de leur fille et, d'autre part, le projet politique auquel ils adhèrent. Entre l'Ecole qu'ils veulent pour leur enfant et l'Ecole qu'ils veulent pour la France.

Or, pour sortir de cette contradiction, il n'y a pas une multitude de solutions : il faut être capable de voir en quoi le projet politique global de l'Ecole est aussi ce qui contribue le mieux à l'éducation et à la réussite de ses propres enfants. Et, pour qu'il en soit ainsi, il faut donner aux parents, tout à la fois, les clés pour comprendre et les moyens pour se faire entendre. Les clés pour comprendre d'abord : les exigences de l'Ecole, parce qu'elles s'adressent à toutes et à tous, sont éminemment formatrices ; elle contribuent à l'instruction de chaque élève, mais aussi à la formation du futur citoyen d'une société démocratique et solidaire. Les instances statutaires, parce qu'elles travaillent dans la transparence et visent à l'équité de traitement de tous, garantissent que chacun sera traité justement et accompagnent les élèves dans la nécessaire découverte d'un fonctionnement institutionnel rigoureux... Les moyens pour se faire entendre ensuite :   aucune institution ne peut prétendre, en effet, faire le bien des gens sans eux et, a fortiori , malgré eux. Aucune institution ne peut prétendre détenir une vérité dont elle n'aurait jamais à rendre compte, qui ne serait jamais mise en discussion et que les « usagers » n'auraient qu'à accepter passivement.

Plus profondément encore, c'est quand les parents sont considérés collectivement comme des citoyens impliqués dans l'Ecole, partie prenante de son projet, qu'ils ne se comportent pas comme les consommateurs égoïstes que certains stigmatisent. En revanche, quand ils sont tenus à l'écart, voire méprisés par l'institution, il est tout à fait normal qu'il cherchent à agir sur elle de l'extérieur et à faire pression de manière individuelle pour « sauver les meubles ».

Voilà donc le grand mérite de ce livre : il donne les clés pour comprendre et les moyens pour se faire entendre. Il le fait avec un immense respect pour les personnes, en sachant et montrant qu'en matière éducative, il n'y a pas de petits enjeux, que la question du cartable, des transports scolaires ou même des toilettes ne sont pas des questions triviales, mais qu'elles participent du contexte éducatif et interagissent fortement avec des questions apparemment plus nobles comme celles des devoirs à la maison, de la notation ou de l'orientation. Il le fait aussi en évitant les simplifications et les polémiques qui agitent si souvent les débats éducatifs : en prenant la peine de s'interroger sur des problèmes difficiles qu'il rend accessibles, comme la gestion de l'hétérogénéité des classes, de l'évaluation des établissements, du suivi des élèves en difficulté et bien d'autres encore...

Ce livre prend les parents au sérieux. C'est dire qu'il prend l'Ecole au sérieux. Il est l'oeuvre d'un vrai professionnel là où règne malheureusement encore trop souvent un amateurisme désarmant. Il mérite d'être lu par tous les parents, mais aussi par tous les enseignants qui veulent transformer leurs relations avec les familles pour être à la hauteur de ce que la démocratie exige : non une Ecole vassalisée par les parents, mais une école où les parents-citoyens s'impliquent assez fortement et collectivement pour que les tous les parents - légitimement exigeants pour leurs propres enfants - y trouvent leur compte.