
Avant-propos
« Tout apprentissage est un voyage. »
On aurait tort de croire que ce livre ne traite que d’activités marginales et récréatives, suppléments d’âme plus ou moins improvisés pour satisfaire des enfants ou des adolescents pressés de fuir un quotidien scolaire triste et ennuyeux. On aurait tort de penser qu’il ne concerne que de quelques petites journées par an réservées à des élèves privilégiés auxquels les professeurs voudraient offrir un moment de divertissement pour compenser les efforts qu’ils exigent d’eux tout au long de l’année. On aurait tort également d’imaginer qu’il ne s’adresse qu’à celles et ceux qui, voyant surtout dans les voyages scolaires le moyen de souder un groupe classe, cherchent d’abord des informations sur la manière de les organiser, de les financer et de les effectuer sans prendre de risques inutiles. Certes, on trouvera bien tous ces renseignements, et beaucoup d’autres, dans ce livre. Mais, en réalité, on verra très vite, à sa lecture, que Jean-Pierre Marcadier, ne nous cantonne nullement dans les marges de l’école. Tout au contraire : il nous introduit au cœur même de l’aventure pédagogique.
Le pédagogue, en effet, est, dans la Grèce antique, un esclave cultivé qui accompagne l’enfant dans ses différentes activités : il le conduit sur le chemin qui va de la maison familiale au précepteur, au stade ou à l’atelier. C’est « l’homme du voyage », celui qui mène le sujet vers les savoirs, en lui permettant de se dégager de l’emprise de ses parents, mais aussi des caprices de l’infantile et des habitudes du quotidien. Le pédagogue est dans « l’entre » : entre la sécurité du cocon et la confrontation avec l’inconnu, entre le repli sur soi et la rencontre de l’altérité, entre les préjugés et la pensée critique, entre le lieu commun et la quête de vérité. Grâce à lui, on peut s’émanciper, c’est-à-dire partir, différer, échapper à toutes les formes d’enfermement.
On comprend alors que les Grecs aient considéré Homère, l’auteur de L’Iliade et L’Odyssée, comme un vrai pédagogue, que Fénelon, passionné d’éducation, ait écrit Le Voyage de Télémaque et que les écoles de la Troisième République ait eu comme livre principal Le Tour de France par Deux Enfants. On comprend aussi que tous les grands romans d’apprentissage, du Perceval de Chrétien de Troyes au Wilhem Meister de Goethe, de Pantagruel de Rabelais à Démian d’Herman Hesse, fassent une part essentielle au voyage. Car, voyager, c’est quitter le lieu où l’on est né et où l’on a grandi entouré des siens pour affronter un univers différent, c’est échapper au mimétisme de ses proches pour découvrir d’autres environnements et d’autres cultures, c’est ne plus être assigné à résidence dans son passé mais pouvoir - peut-être - choisir son avenir.
« Tout apprentissage est un voyage », expliquait Michel Serres dans son beau livre Le Tiers-instruit . Il ne peut donc faire l’économie ni de l’appréhension du départ, ni de la peur de l’inconnu. Apprendre, en effet, c’est faire quelque chose qu’on ne sait pas faire… pour apprendre à le faire : autant dire qu’on a besoin, pour cela, d’être accompagné, mis en confiance, assuré que, si l’on n’y parvient pas, on ne sera ni humilié, ni définitivement identifié à son échec. Apprendre, c’est aller vers des mondes nouveaux où nos repères anciens seront inévitablement bousculés : autant dire qu’il nous faut, pour cela, un médiateur qui nous aide à ne pas disqualifier systématiquement ce qui nous échappe et à faire de l’altérité un moyen de se dépasser. Apprendre, c’est relier ce que l’on découvre à ce que l’on savait déjà, reconfigurer son système de représentations pour appréhender toujours mieux la complexité du monde : autant dire que cela requiert de prendre le temps de faire le point régulièrement pour formaliser ce qu’on sait. Apprendre, c’est être capable de transférer ce que l’on a appris, ailleurs et à sa propre initiative : autant dire qu’il est indispensable d’être mis dans des situations nouvelles où l’on sollicitera notre autonomie. Apprendre, c’est tout cela et bien d’autres choses encore… Et c’est ce que chaque professeur fait au quotidien.
Jean-Pierre Marcadier le sait, plus que tout autre. Et, pour l’avoir vu travailler avec ses élèves, je peux en témoigner. Mais, avec cet ouvrage, il nous propose d’explorer ce qu’est apprendre à travers des expériences particulières qui en présentent en quelque sorte un condensé : les voyages scolaires. C’est un coup de génie : car la manière de concevoir et de mettre en œuvre les voyages qu’il décrit ici résume tout ce que nous savons sur l’apprentissage. C’est pourquoi, non seulement, ce livre permettra aux professeurs d’engager de nouvelles et belles aventures pédagogiques, mais il aidera tous ses lecteurs à découvrir ce qui structure l’acte d’apprendre, à comprendre en profondeur ce qu’est vraiment un apprentissage. Car, non seulement on verra comment voyager peut permettre d’apprendre mais aussi comment organiser tout enseignement comme un voyage est la meilleure façon d’aider les élèves à apprendre. De précieuses leçons pour qui, comme Jean-Pierre Marcadier, ne désespère pas que l’école, aujourd’hui, puisse encore quelque chose pour le futur de nos enfants et l’avenir du monde.
François Bourin, Paris, 1991.
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