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À vrai dire, cet ouvrage ne porte pas tout à fait le bon titre. En réalité, c’est moins aux parents qu’il s’adresse qu’aux citoyens. Non, bien sûr, qu’on ne puisse être l’un et l’autre, mais parce que, justement, ce texte s’efforce de proposer une pensée sur l’école qui s’exhausse au-dessus des réactions immédiates, des jugements à l’emporte-pièce, des impressions personnelles que l’on peut avoir en tant que parent. Il permet d’entrer dans l’intelligence du système scolaire, de son fonctionnement, de ses missions, de ses relations avec le politique… et de participer ainsi au véritable débat citoyen dont nous avons besoin. Malgré son épaisseur (près de 500 pages !), ce livre se lit comme un roman. Sérieux sans être ennuyeux, engagé sans être polémique, il présente un panorama assez exhaustif de notre institution scolaire, de son histoire et de ses enjeux. Logiquement, il s’appuie sur les contributions publiées dans Les Cahiers pédagogiques. C’est légitime : la revue fait référence et constitue un vraie mine d’or d’articles – expériences et travaux – régulièrement actualisée et alimentée aussi bien par des praticiens « de terrain » que par tous les chercheurs qui comptent en éducation. La lecture est donc facilitée par une multitude d’exemples, mais toujours très bien analysés, loin de toute anecdote démagogique. Un revers inévitable : l’école primaire est moins présente que l’enseignement secondaire et la maternelle peu traitée. Mais suffisamment, cependant, pour qu’on en perçoive les enjeux. Le parti pris de convoquer régulièrement l’histoire est très éclairant : outre qu’il nous fait découvrir des moments ou des événements méconnus, il permet de comprendre le présent ; il permet de savoir pourquoi et comment les choses ont émergé et le sens qu’elles ont eu. Il est, d’ailleurs, significatif que l’histoire soit mise ici à contribution par ceux qui ne sombrent pas dans la nostalgie du passé. On sait que la réciproque fonctionne, en effet, parfaitement : ceux qui exaltent la passé ignorent l’histoire, ils ont besoin de la mythifier pour excommunier le présent… Un regret, cependant : parmi toutes les grandes figures et tous les grands moments de notre École, le Front Populaire et Jean Zay ne me paraissent pas cités à la hauteur de l’importance qu’ils ont eu. Certes, la période n’a pas permis de beaucoup légiférer et la guerre a mis fin tragiquement à beaucoup des initiatives qui avaient été prises. Mais Jean Zay demeure un visionnaire remarquable qui a vraiment pensé, pour la première fois, un projet éducatif, social et culturel de grande ambition. Alors que Jules Ferry est délibérément ancré dans le 19ème siècle, Jean Zay parle au 21ème… Il aurait peut-être mérité un développement spécifique, ne serait-ce que pour présenter une alternative à l’incantation rituelle sur Jules Ferry avec laquelle le livre prend, judicieusement, ses distances. De même, on aurait aimé que l’apport de l’Éducation populaire soit mieux souligné : les difficultés qu’elle vit, depuis quelques années, pour s’articuler à l’école me paraissent gravement préjudiciables à l’avenir de cette dernière. Le plan du livre articule trois parties : « Comment fonctionne l’école », « comment on apprend à l’école » et « comment pèsent les choix politiques ». Cette articulation est, elle-même, significative d’une posture fondamentale : les trois dimensions, en effet, constituent les trois facettes d’une même réalité. Trop d’ouvrages se focalisent sur l’une d’entre elles et oublient les autres. Trop de propos oublient les contraintes institutionnelles ou exonèrent les choix politiques, présentant des chapelets de vœux pieux ou des ensembles de recettes. Trop de pamphlets, surtout, esquivent la question de l’apprentissage et font comme si on pouvait le décréter sans la moindre difficulté… Et l’ouvrage se conclut ainsi, logiquement, sur une question fort pertinente : « Les choix pédagogiques sont-ils des choix politiques ? » Il y a, bien sûr, des points à discuter : pour ma part, je ne partage pas complètement la présentation des lycées professionnels et regrette que l’option du « lycée unique » soit trop vite écartée, mais il est vrai que notre système ne sait pas vraiment encore différencier la pédagogie dans des cursus communs. Je trouve également que le contexte sociologique et médiatique nouveau n’est pas toujours suffisamment pris en compte ni relié avec les missions essentielles de l’école (« l’inversion de la dispersion », disait Madinier). J’aurais souhaité, aussi, plus d’avancées sur le rôle des parents-citoyens : comment leur permettre d’être vraiment associés à l’école et d’éviter qu’ils n’aient comme seul moyen de pression sur elle le zapping scolaire ? Quels recours, en interne, pour travailler avec les parents sur les dysfonctionnements du système ? Comment en faire de véritables partenaires dans le respect des spécificités réciproques ? C’est toute la question du statut du « service public » qui est ici posée… Mais, ces réserves donneront sans doute lieu à d’autres publications ou, au moins, à des travaux que les lecteurs des Cahiers pédagogiques pourront suivre. En attendant, il faut lire et faire connaître cet ouvrage. Loin de tout règlement de comptes, et aussi loin de tout unanimisme naïf, il adopte une posture éclairée et offensive à la fois. Un bol d’oxygène par les temps qui courent. Philippe Meirieu Université LUMIERE-Lyon 2 |