Quel avenir pour les IUFM ?

 

L'année universitaire qui commence va, de toute évidence, être décisive pour les Instituts universitaires de formation des maîtres. En effet, la « loi d'orientation pour l'avenir de l'école », adoptée en mars dernier par le Parlement, prévoit l'intégration de chacun d'eux dans une université.

Disons le tout net : l'intégration dans l'Université ne nous inquiète pas en elle-même. Les IUFM sont d'ailleurs, déjà, des établissements universitaires : de nombreux enseignants-chercheurs de statut universitaire travaillent en leur sein ; ils poursuivent des recherches, en propre ou en partenariat avec des laboratoires universitaires, qui n'ont rien à envier à beaucoup de travaux menés dans d'autres établissements d'enseignement supérieur ; ils sont impliqués dans la vie intellectuelle de la Cité et ont développé des initiatives originales en matière culturelle comme dans le domaine des technologies de l'information et de la communication...

Bref, il ne manquait aux IUFM que le droit de décerner des grades pour être de « vraies universités ». Or, justement, ce droit, nous le revendiquions : voilà déjà plusieurs années, en effet, que les IUFM regrettent de recruter des étudiants à un niveau « bac + 3 » et, après deux années particulièrement intenses (une année de préparation au concours et une année de stage et de formation donnant lieu, en particulier, à la production d'un mémoire professionnel), nous les rendons... à « bac + 3 » ! Comme si les deux années passées à l'IUFM ne pouvaient faire l'objet d'une certification et permettre, à la sortie, soit de poursuivre des études, soit de solliciter une équivalence dans l'espace européen... Quand on sait, par ailleurs, que, justement, le Ministère de l'Education nationale a encouragé la création de mastères professionnels à « bac + 5 » dans une multitude de domaines, on s'étonne et on s'inquiète : le professorat ne serait donc pas un vrai métier ! Enseigner n'exigerait pas aujourd'hui un haut niveau de compétence ! Les concours de recrutement et la formation en deuxième année d'IUFM ne seraient pas l'objet d'un investissement intellectuel permettant de prétendre légitimement à un niveau de mastère ! D'ailleurs, la plupart des pays européens ne comprennent pas cette position et s'étonnent de voir la France, qui prétend être en tête de l'harmonisation des diplômes, camper, quand il s'agit de la formation de ses enseignants, sur des positions aussi archaïques...

Prenons acte, cependant, d'un progrès contenu dans la loi : les IUFM intégrés dans les universités pourront délivrer la moitié d'un mastère pour les deux années de formation. Voilà une avancée dont nous prenons acte. Mais que devra être, que pourra être, l'autre moitié ? Quelles études seront proposées pour compléter cette année ? Par qui et comment ? Et reconnaîtra-t-on, enfin, le caractère de « haut niveau professionnel » du métier d'enseignant... ou faudra-t-il, toujours que, pour obtenir un mastère, le professeur fasse la preuve qu'il sait faire tout autre chose qu'enseigner ?

Reste, maintenant, à voir quelles seront les conditions de l'intégration des IUFM dans les universités. Les IUFM auraient souhaité que cette intégration se fasse sans que nos établissements perdent leur personnalité juridique et morale, en continuant à disposer d'un Conseil d'administration en propre et en pouvant être rattachés à plusieurs universités. Le législateur en a décidé autrement. Nous en prenons acte. Comme tous les autres, notre IUFM sera intégré comme une composante parmi d'autres, sans personnalité juridique et morale, et dans une seule université. Pourquoi cela est-il préoccupant ? Parce que nous risquons d'être mis aux enchères entre plusieurs établissements sans pouvoir garantir la pérennité de nos acquis. Parce que, passée l'intégration, rien n'empêchera, dans un délai plus ou moins long, de démanteler l'IUFM, de fermer certains de ses centres, de déplacer une partie de ses personnels. Parce que cette intégration se fera sans garantie que les personnels et les usagers de l'IUFM soient correctement représentés dans les instances décisionnelles de l'université. Parce que notre identité d'établissement de formation des professeurs par alternance, entretenant des rapports originaux avec l'Etat employeur et faisant travailler ensemble diverses catégories de formateurs « d'égale dignité », pourra être passée par pertes et profits.

Car, quels sont les véritables enjeux ? Il s'agit, en réalité, de savoir si les trois grandes orientations qui ont présidé à la création de nos établissements seront conservées et approfondies. Maintiendra-t-on une unité symbolique et fonctionnelle entre la formation du premier et du second degrés ? Maintiendra-t-on un lien structurel et pédagogique entre la première et la deuxième années d'IUFM ? Maintiendra-t-on une articulation forte entre la formation dite « théorique » et la formation « sur le terrain » ?

L'unité de la formation entre les professeurs des écoles et les professeurs des lycées et collèges, lycées professionnels et conseillers principaux d'éducation n'est pas, en effet, une simple affirmation de principe : c'est une question identitaire essentielle. Il s'agit de savoir si l'on reconnaît ou non que les uns et les autres, chacun à leur manière et avec les spécificités légitimes qui sont les leurs, participent bien du même projet éducatif de la nation et sont chargés de travailler ensemble à la construction d'une société plus juste, démocratique et solidaire. N'oublions pas, en effet, que la scolarité obligatoire se poursuit, en France, jusqu'à seize ans et qu'elle constitue un tout homogène dans lequel les césures inévitables ne doivent pas faire oublier l'impérative continuité. A cet égard, un décrochage entre le premier et le second degré serait une régression forte, au regard des objectifs mêmes fixés par la loi d'orientation.

Le lien entre la première et la deuxième année est, également, une nécessité absolue : on ne peut pas former un professionnel auquel on va demander tant de choses, sur lequel la pression sociale va être si forte, en juxtaposant une année de bachotage académique et une année d'immersion dans les classes   plus ou moins accompagnée de quelques cours « théoriques ». Aucun métier exigeant ne pourrait se satisfaire d'un tel montage. C'est pourquoi il convient absolument de poursuivre le travail engagé sur la continuité et la « professionnalisation » nécessaire des deux années de formation... Au sein de la préparation aux concours, il doit exister des contenus et des méthodes qui, déjà, participent de la compréhension du processus « enseigner / apprendre » ; et, de même, la deuxième année doit permettre une interrogation systématique des contenus par les situations et des situations par les contenus. Le professeur enseigne toujours quelque chose à quelqu'un ... et ces deux éléments doivent être travaillés ensemble pendant deux véritables années de formation. Rien ne serait pire que la dévolution à l'université de la préparation aux concours recentrée sur les seuls contenus académiques, tandis que l'employeur récupèrerait l'année de stage dans une logique purement gestionnaire, utilisant essentiellement les stagiaires comme des moyens de remplacement ou d'enseignement.

Enfin, il faut absolument se battre pour conserver, au cours des deux années, une articulation forte entre « la théorie » et la « pratique ». Ces deux termes, d'ailleurs, sont faux et signent une pensée paresseuse : car il y a, évidemment, de la théorie (au moins implicite) chez tous les praticiens et de la pratique (au moins celle de leur propre enseignement) chez tous les théoriciens. C'est pourquoi nous parlons d'alternance entre des contextes différents d'analyse de la décision : il faut, pour devenir un expert, apprendre à prendre des décisions immédiates « sur le terrain », en réponse aux problèmes auxquels on est confronté et, en même temps, apprendre à prendre du recul, à mobiliser des modèles abstraits afin de ne pas s'engluer dans l'empirisme. Et c'est l'aller-retour entre ces niveaux qui constitue, à proprement parler, le processus de professionnalisation. C'est pourquoi il faut absolument conserver, au sein de l'IUFM, le pilotage de l'articulation entre les stages et les formations « théoriques » ; il ne faut pas laisser se disloquer la formation qui deviendrait, alors, une simple juxtaposition entre un tâtonnement plus ou moins accompagné et des compléments théoriques de formation plus ou moins assimilés. Concrètement, et pour progresser encore, il nous faut conserver, au sein de l'IUFM, des formateurs ayant des positions différentes et des regards différents sur le métier ; il nous faut apprendre à travailler encore mieux ensemble, au plus proche des problèmes qui se posent « sur le terrain » et en liaison étroite avec les acquis de la recherche la plus élaborée.

« Le pire n'est jamais sûr » et il est possible que notre intégration dans une université se passe dans des conditions telles que nous puissions, non seulement, conserver nos acquis, mais avancer encore. C'est évidemment ce que nous souhaitons et ce à quoi nous travaillerons. Il conviendrait, pour cela, que, tant au niveau académique qu'au niveau national, un suivi sérieux de ce processus soit mis en place, avec tous les partenaires concernés afin de pouvoir étudier, au fur et à mesure, dans la plus grande transparence, tous les problèmes techniques et pédagogiques qui vont émerger. Il conviendrait que tout cela s'effectue dans la confiance et le respect mutuel.... Et, surtout, en levant un peu les yeux au dessus de l'horizon immédiat. Les enjeux de l'éducation ne sont pas des enjeux électoraux. Nous formons, cette année, des étudiants et des stagiaires qui enseigneront probablement encore à des enfants qui naîtront en 2045. Autant dire que nous ne pouvons raisonner à court terme. Nous ne pouvons pas, par exemple, ignorer la crise de recrutement qui risque de frapper durement l'enseignement du second degré ces prochaines années. Nous ne pouvons pas ignorer que la vocation pour ce métier émerge, aujourd'hui, tout autant en milieu de vie qu'à la sortie de l'université. Nous ne pouvons pas ignorer que la formation tout au long de la carrière requiert un développement fort de la démarche documentaire. Nous ne pouvons pas ignorer que le travail d'équipe interdisciplinaire sera de plus en plus nécessaire pour les experts que devront être les enseignants.

L'IUFM de l'Académie de Lyon a commencé, modestement, à relever ces défis. Il ne demande qu'à continuer... avec tous ceux et toutes celles qui voudront s'associer à son projet.