Élite ou excellence ?

Dans un entretien paru cet été, le Premier ministre revendique, parmi les mesures fortes en direction de la jeunesse et pour l'égalité des chances, « l'ouverture d'une classe préparatoire au lycée Henri-IV pour les jeunes issus de Zep »... Dans un système éducatif de plus en plus opaque, on est content de savoir qu'il existe au moins une ouverture de classe en France qui a été l'objet d'une décision politique délibérée et en toute transparence !

Cela dit, on peut néanmoins s'inquiéter de voir une telle décision présentée comme une « solution-miracle » aux problèmes de l'emploi et de la mobilité sociale. On veut bien croire que les élèves scolarisés dans cette classe vont avoir la chance de fréquenter - enfin ! - un « établissement d'élite », même s'ils y sont cantonnés dans une classe spécifique dont on est, d'ailleurs, curieux de savoir comment elle est nommée par leurs camarades des « classes normales » du lycée Henri-IV... On veut bien croire que quelques-uns de ces élèves pourront intégrer les grandes écoles et représenteront des modèles positifs de réussite pour leurs anciens condisciples de Zep. On veut bien croire que cela va aider ces derniers à retrouver un peu d'espérance...

Mais, par ailleurs, que de malentendus ! Faut-il voir dans cette mesure la reconnaissance implicite qu'il faut sortir de Zep pour réussir à l'école et que l'on a définitivement renoncé à y développer des filières d'égale dignité avec celles des lycées prestigieux de centre ville ? Faut-il y voir la volonté de sélectionner les meilleurs élèves des banlieues comme on veut sélectionner les « émigrés les plus méritants et cultivés »... au risque de vider les territoires déshérités de ceux et celles qui pourraient les « tirer vers le haut » ? Faut-il y voir une confusion perverse entre « élite » et « excellence » ?

Car, si le lycée Henri-IV forme « l'élite de la France », celle qui va ensuite poursuivre ses études dans les pouponnières parisiennes de ministres, d'intellectuels et de PDG, il n'a pas le monopole de « l'excellence ». Bien au contraire : il existe des lycées professionnels oubliés qui, dans les métiers d'art, de l'industrie ou des services, représentent des lieux de formation portés par une exigence d'extrême excellence. Qu'est-ce que c'est cette conception archaïque qui confond « l'élite parisienne » et « l'excellence nationale » ? Certes, il faut absolument casser la bulle de première, mais cela ne se fera efficacement que si, simultanément, on promeut, avec des signes politiques forts, la seconde dans tous les domaines. Il est temps de prendre au sérieux la revalorisation des lycées professionnels... et - pourquoi pas ? - d'y consacrer une partie des sommes dépensées pour quelques lycées prestigieux qui ne scolarisent, pour l'essentiel, que des élèves qui réussiraient presque aussi bien sans professeurs !