La banlieue à l’opéra…

En cette fin d’année scolaire, les élèves de cette école « difficile » d’une banlieue « sensible » se rendent au prestigieux opéra du centre-ville pour participer à la présentation d’un spectacle sur lequel ils travaillent depuis plusieurs mois. Sur la scène, dans le chœur, ils impressionnent même les professeurs qui les ont fait travailler. Les responsables artistiques de l’opéra « n’en reviennent pas » : ces gosses qu’on voit au quotidien gesticuler en permanence sont terriblement concentrés ; droits, les bras le long du corps, la tête haute, fermant parfois légèrement les yeux pour bien s’imprégner de l’ambiance et se souvenir de ce qu’ils ont à faire, ils sont tout entiers investis dans leur tâche.

Si la réussite est telle, c’est que, bien sûr, le travail en amont a été considérable. Il a commencé avec une visite de l’opéra dès le début de l’année. Déjà, ce jour-là, les enseignants avaient été impressionnés : en entrant dans cet espace, les élèves avaient changé de comportement ; tout à coup, ils s’étaient mis à parler plus bas, à marcher lentement, à contrôler leurs mouvements habituellement désordonnés.  Ils étaient montés sur la scène dans une ambiance quasi religieuse et avaient écouté attentivement les musiciens leur expliquer leur métier… Puis, ils avaient découvert en classe les textes des morceaux qu’ils allaient interpréter. Les répétitions avaient été difficiles au début : les garçons, en particulier, ne cessaient de faire des pitreries, à la fois pour camoufler leur angoisse et pour prendre cette distance « virile » convenue avec tout ce qui peut ressembler à de la « culture ». Les enseignants avaient mis en place des exercices de relaxation et de décontraction. Ils avaient organisé des espaces et des temps fortement ritualisés pour mettre les élèves dans les conditions de la représentation. Ça n’avait pas été facile… Et puis, petit à petit, les choses avaient pris forme… Mais rien ne laissait présager néanmoins la formidable réussite de la représentation…

Hélas, les enseignants ne sont pas restés sur cette belle impression. Sur le chemin du retour à l’école, dans la rue et dans le bus, les élèves furent absolument insupportables, criant, tapant sur tout ce qu’ils trouvaient, insultant les passants. Défoulement inévitable après un effort considérable ? Peut-être ! Mais aussi rupture entre un espace reconnu comme « sacré » et des lieux publics où n’importe quoi redevient possible…

Refaire des espaces publics des « lieux du commun », respectables et respectés, devient aujourd’hui une priorité. D’autant plus que les jeunes nous montrent que, quand nous parvenons, sereinement et sans tensions inutiles, à donner à des espaces une dignité qu’ils sont capables d’éprouver, alors les plus « difficiles » d’entre eux peuvent nous bluffer par leur sérieux et leur générosité.