Public ou people ?

Qu'une des principales chaînes du service public de télévision ait décidé de confier sa « grande émission de société » à un animateur jusque là connu essentiellement pour sa connaissance des têtes couronnées et son entregent mondain ne peut qu'inquiéter. Non que la personne manque de qualités : elle a, à l'évidence, des compétences importantes pour débusquer les intrigues affectives des « peoples » et les présenter au public avec ce mélange de voyeurisme et de délicatesse qui en fait presque un genre littéraire. Mais rien, a priori , ne prédisposait cet animateur à traiter sérieusement de la question de l'École, de l'hôpital, de la prison ou de l'emploi... Alors   pourquoi faire appel à lui ?

On aurait pu imaginer que les dirigeants du service public, dans un louable souci de rendre accessibles au plus grand nombre de nos concitoyens des problèmes complexes, aient sollicité une vedette pour lui demander de mettre sa popularité au service d'une « pédagogie citoyenne » : rien ne serait, en effet, plus utile aujourd'hui que de nous permettre d'entrer intelligemment dans les enjeux de société auxquels nous sommes confrontés. Il nous faudrait inventer, pour cela, de nouvelles émissions originales : se coltinant les questions de fond, sans être ennuyeuses, nourrissant le débat sans s'enferrer dans les polémiques, amenant les experts à communiquer avec passion leurs connaissances sans jamais jargonner ou tomber dans l'élitisme. Des émissions réalisées avec les moyens financiers importants dont seules les grandes chaînes de télévision peuvent disposer et qui permettraient d'éviter les impasses du didactisme ou le ronron des vagues talk-shows...

Mais rien de tout cela : l'émission est, en réalité, un débat à grande vitesse, au milieu d'un public surchauffé, où s'affrontent, des « spécialistes » ou des « personnalités » soigneusement choisis pour « faire mouche ». Il s'agit, en effet, de mettre en scène des pugilats où seule la surenchère des bons mots ou de l'insulte compte. Nul n'a le temps de développer quoi que ce soit : il faut simplement placer coûte que coûte sa petite phrase... celle qui ne sera pas coupée au montage ! Car, bien sûr, nous sommes dans un débat tronqué - on tourne presque le double de ce qu'on diffuse - et aucune garantie nous est donnée sur l'authenticité du dialogue. Là, d'ailleurs, n'est pas la question : nous sommes dans le spectacle - ou, plus exactement, le spectaculaire - et la jouissance du spectateur n'est pas dans la satisfaction d'avoir compris, mais dans le plaisir de voir le perdant à terre.

Étrange mélange des genres. Véritable mépris de la démocratie, de telles émissions pourraient, après tout, exister sur les chaînes privées. Il est, en revanche, particulièrement, préoccupant que le « service public » se transforme en « service people ». Saurons-nous réagir ?