Une sélection, nécessairement partielle et partiale, de livres importants, par ce qu'ils apportent, par les perspectives qu'ils ouvrent, par les débats qu'ils permettent...
Faire travailler les élèves à l'école, Sylvain Grandserre et Laurent Lescouarch, Paris, ESF éditeur, 2009.
Un livre qui associe la réflexion et l'instrumentation, qui prolonge l'inspiration de "l'Education nouvelle", à la lumière des recherches actuelles en sciences de l'éducation...
N’en déplaise aux spécialistes des « y a qu’à », tout enseignant sait bien que les apprentissages ne se décrètent pas. Pas question, pour autant, de se réfugier dans le fatalisme et de condamner à l’exclusion les élèves qui ne veulent ou ne peuvent apprendre.
Quoi qu’en pensent les technocrates, on n’éradiquera pas l’échec scolaire en multipliant les prothèses de toutes sortes après la classe, sans toucher à l’organisation même de cette dernière.
Et, en dépit des anathèmes et des malentendus, les pédagogues ne sont en rien de doux rêveurs ayant abdiqué leur autorité et renoncé à transmettre des savoirs. Ils témoignent, au contraire, d’une inlassable obstination dans ce domaine. Articulant, avec inventivité, la volonté d’instruire et celle de former à la liberté.
Sylvain Grandserre et Laurent Lescouarch en font ici la remarquable démonstration. Adossés aux grandes figures de la pédagogie, informés des meilleures recherches en éducation, soucieux d’être toujours au plus près des pratiques, ils nous offrent un livre exceptionnel.
Jean Houssaye dit d’eux, dans la préface, que ce sont des « sages ». Et, effectivement, ce livre est un livre de « sagesse pédagogique » : il conjugue, avec un rare talent, équilibre et exigence. Équilibre entre les informations théoriques et les préconisations concrètes. Équilibre entre le souci de créer du collectif et celui d’aider chacun au plus près de ses besoins. Équilibre entre les impératifs de la transmission et ceux de l’émancipation… Exigence aussi : exigence d’apprentissages rigoureux, exigence d’une culture porteuse de promesses d’humanité, exigence d’une formation authentique à la démocratie… Voilà donc, tout à la fois, un manifeste et un outil pour une véritable pédagogie de la liberté.
Le mérite contre la justice, Marie Duru-Bellat, Paris, SciencesPo. les Presses, 2009.
Un livre absolument essentiel pour s'y retrouver dans les débats truqués sur "le mérite". Des données essentielles et des questionnements fondamentaux...
Marie Duru-Bellat nous livre ici un ouvrage important. Particulièrement bien informé, il dévoile des dessous d'une question où les "fausses évidences" font des ravages. Les trois premiers chapitres font le point sur la question des inégalités et du mérite, à partir des analyses sociologiques "traditionnelles" et des travaux récents qui permettent de les questionner, tant dans le domaine de l'école que dans celui de la vie professionnelle. Le quatrième chapitre apporte une synthèse remarquable. Il souligne que le seul critère du mérite ne peut servir d' "organisateur" à la vie sociale et économique, au risque de graves dérives. D'une part, les formes scolaires du mérite ne prennent en compte que des critères limités de ce qu'on nomme la "valeur" d'une personne. D'autre part, on ne peut passer son temps à encourager les parents à éduquer les enfants et chercher simultanément à abolir méthodiquement les avantages liés à cette "bonne éducation" au nom d'une lutte formelle contre les "inégalités familiales". De plus, la crispation sur "la mobilité sociale", parfaitement intelligible par ailleurs, empêche de voir la réalité des injustices de ceux qui sont laissés pour compte (c'est là, entre autres, une des raisons des limites de la "discrimation positive"). Enfin, le "culte de la performance", outre ses coûts psychologiques, entretient la suspiçion sociale systématique et s'oppose aux nécessaires logiques de "redistribution" dans une société qui fait de "l'égalité" une valeur. Pour autant, on ne peut se passer du mérite : "Une société qui n'accorderait aucune importance aux chances qu'on a effectivement saisies ne serait sans nul doute pas perçue comme plus juste." Il nous reste alors à sortir des simplifications : nous devons "distinguer le fait de mériter quelque chose et le fait d'avoir droit à quelque chose" (distinction absolument fondatrice en éducation, à mes yeux). Nous devons aussi mettre en débat, dans les collectifs, la question du mérite, au regard de ce qu'elle signifie en termes de visions de l'homme et de la société. Beau programme pour une démocratie !
L'école vide son sac, Sandra Freman et Pierre Guyot, Paris, Editions du moment, 2009.
Un livre "grand public" qui fait un constat honnête et informé de l'état de l'Ecole...
Ecrit par deux journalistes bon connaisseurs des questions d'éducation, cet ouvrage montre que l'on peut s'adresser au "grand public" en menant une enquête sérieuse auprès de l'ensemble des acteurs de l'institution scolaire sans sombrer dans la caricature. Le livre regarde de près, en effet, les réalités de l'institution scolaire française, il mobilise des documents et rapports sérieux (malgré une bibliographie très mince), et, même si des secteurs entiers sont ignorés (comme les lycées professionnels, par exemple), il donne une vision assez juste d'une situation complexe et des difficultés auxquelles se heurte aujourd'hui l'Education nationale. Il donne aussi la parole à un panel assez large de personnalités (en citant toujours leurs sources, ce qui n'est pas si fréquent dans les ouvrages "grand public" sur l'école). Il propose, enfin, des réflexions stimulantes.
Certes, ce n'était pas son projet, mais on peut néanmoins regretter que l'ouvrage reste dans le domaine du constat. Plus encore, il ne montre pas toujours très clairement les différents scénarios qui se distinguent ou s'opposent et témoignent, ainsi, de vraies lignes de clivage. C'est là le principal reproche qu'on peut faire à un travail par ailleurs fort utile. "L'école vide son sac", mais on a un peu de mal à faire le tri et, surtout, à se représenter quelles pourraient être les perspectives. L'appel final à un "Grenelle de la rue de Grenelle" et, sans doute, de bon aloi. Mais ce Grenelle-là aura besoin d'analyses plus fouillées. Ce sera, peut-être, la prochaine étape du travail de ces deux auteurs...
L'école, la culture, la démocratie, Philippe Cadiou, Paris, L'Harmattan, 2009.
Une réflexion de fond absolument essentielle sur la situation de notre société et la nouvelle donne éducative qui est la nôtre, par un psychanalyste qui est aussi philosophe et pédagogue...
On connaît maintenant par coeur tous les discours sur les difficultés d'éduquer aujourd'hui, la perte des repères, la disparition des références morales, l'individualisme et le consumérisme, etc. L'immense mérite du livre de Philippe Cadiou est de prendre au sérieux ces analyses sans en rester au lamento traditionnel. Plus encore, il montre que la situation que nous vivons (qu'il qualifie, en reprenant le terme de Derrida, de "déconstruction", infiniment plus juste que celui de "décadence" ou, même, d' "effondrement") est une véritable chance pour une "éducation à la démocratie". A condition, bien sûr, de ne pas se laisser aspirer par la fascination néolibérale de "l'homme machine" et de lui préférer résolument "une politique du désir"... "La démocratie politique réclame un environnement culturel supérieur aux systèmes totalitaires", et l'école est, pour cela, en première ligne : à elle de mettre en oeuvre le principe d'éducabilité de tous en proposant l'accès à une culture ouverte, dégagé de toute chosification, de toute tentation du "grand maître qui sait tout et dit, à lui seul, toute la vérité des choses." Il s'agit d'apprendre à "penser" aux élèves à travers la transmission, une transmission qui récuse l'illusion de la rationalité intégrale et qui accepte de s'adresser au sujet pour en "dénouer le désir". Laissons la place ici à Philippe Cadiou : " L'universel abstrait du modèle élitiste pourra-t-il affronter la nouvelle donne historique sans l'apport de la pédagogie? La pédagogie invente l'existence de contre-modèles aptes à démocratiser par d'autres voies les exigences nouvelles de la culture. L'invention pédagogique est le coeur de l'école, le laboratoire central de son activité en tant qu'oeuvre. Les liens humains autant que les savoirs sont à réinventer sans cesse. Sans la force poétique de l'invention, rien ne se joue."... Cette "force poétique de l'invention" est à l'oeuvre dans cet ouvrage qu'il faut absolument lire et faire connaître, contre toutes les pensées simplistes et les catastrophismes de pacotille.
Enseignant... et après ? Comment préparer et réussir sa seconde carrière, Rémi Boyer, Fontenay-Le-Comte, Les Savoirs Inédits, 2009.
Un livre utile... pour les enseignants, pour l'école, pour la société.
Il pourra sembler étrange de trouver sur ce site une présentation de cet ouvrage qui explique comment... quitter l'enseignement ! Le paradoxe n'est qu'apparent. D'une part, parce que c'est rendre service à tout le monde que de permettre à des enseignants qui ne sont plus à l'aise dans leur métier que de trouver des perspectives nouvelles pour se reconvertir. D'autre part, parce qu'on ne voit pas bien pourquoi les enseignants seraient les seuls à ne pas pouvoir bénéficier de mobilité professionnelle dans une société qui promeut "la formation tout au long de la vie". Enfin, parce que je crois que le métier d'enseignant est sans doute un de ceux qui peut le mieux s'articuler avec d'autres... Ainsi, de même que je suis convaincu qu'il faut permettre à des professionnels de tous les domaines de devenir enseignants s'ils le souhaitent (avec une formation adaptée, bien sûr), de même il faut permettre aux enseignants de s'orienter, quand ils le souhaitent, vers d'autres carrières. La fluidité professionnelle (qui n'a rien à voir avec "la flexibilité de l'emploi"!) est ici une garantie d'une meilleure insertion de l'école dans la société... On peut même rêver et imaginer, par exemple, une société où l'on pourrait être enseignant à mi-temps en exerçant un autre métier par ailleurs. Avec la formation et le sérieux pédagogiques requis, bien sûr ! Désenclaver l'école sans la dénaturer est un enjeu majeur ! Voilà pourquoi ce livre est utile : au-delà des informations qu'il apporte, il permet de penser plus globalement une meilleure articulation école/société.
Pour une école du futur - Du neuf et du courage, Pierre Frackowiak, Lyon, Chronique sociale, 2009.
Un livre tonique et particulièrement utile en ces temps où la dépression menace l'école et les enseignants
Il est temps d’avoir du courage en éducation ! Et c’est au nom de sa solidarité profonde avec les valeurs de la gauche que Pierre Frackowiak appelle ici ses camarades à cesser de patauger et de bégayer, pour s’empoigner, enfin, avec les vraies questions. Il le fait en procédant à une analyse serrée des déclarations, programmes, comportements et réactions de ceux dont il partage les combats au quotidien depuis des années, avec une obstination exemplaire. Il le fait en confrontant tout cela à ce qu’il a vécu sur le terrain et avec les apports des multiples collectifs qui ont travaillé avec lui. Il le fait sans se livrer à d’inutiles imprécations ou procès d’intention. Mais il le fait fermement. Parce que la fermeté est le meilleur service à rendre à ses amis. (...)
Inquiets, découragés, caporalisés, acculés à la désobéissance, les enseignants de 2009 veulent une alternative à la politique actuelle. Ils sont en attente d’une parole forte. Ils n’ont pas besoin de nouveaux arrangements de façade ou de propositions de pacotille. Ils veulent pouvoir se saisir de véritables projets, ambitieux et consistants, quitte à les discuter, voire à s’affronter sur leur mise en application. Ils en ont assez d’être agressés, mais ils savent à quel point il est dérisoire d’être flattés. Ils ont simplement envie d’être respectés. Impliqués dans une action collective à la hauteur des exigences de la République et des difficultés de ce temps.