CONSEILLER(E) PRINCIPAL(E) D'EDUCATION (CPE) |
Le danger permanent, dans l’Education nationale, quand on découvre des problèmes ou des besoins nouveaux, c’est de spécialiser des personnes et des fonctions dans leur traitement. Certes, il fallait créer les documentalistes car, à partir d’un certain moment, les enseignants des différentes disciplines ne pouvaient plus maîtriser la complexité des questions et des outils documentaires. Et « documentaliste » est aujourd’hui un vrai métier, avec une réelle identité professionnelle, des compétences et un savoir-faire spécifiques. Mais l’existence des documentalistes ne peut décharger les enseignants du souci documentaire : si aucun enseignant, dans ses cours, ne renvoie à des documents, ne montre l’intérêt de les consulter, n’explique comment on peut les confronter pour construire progressivement des savoirs plus objectifs… le centre de documentation risque bien de n’être qu’une salle de consultation des programmes de télévision ou de lecture de magazines. De même, il fallait créer les conseillers principaux d’éducation : à partir du moment où les règles scolaires n’étaient plus construites mentalement par les élèves avant même d’arriver à l’école, à partir du moment où la présence à l’école et le respect de son fonctionnement n’étaient plus considérés comme « allant de soi », garantissant la réussite sociale ou, au moins, l’accès à un emploi… il fallait bien substituer aux « surveillants généraux » (chargés de « surveiller » que la loi était bien appliquée) des « conseillers d’éducation » chargés, eux, de construire la loi avec les élèves. Et cette mutation est absolument décisive : elle marque un changement radical de métier imposé par la demande sociale à l’égard de l’école et par la volonté de cette dernière de former de véritables citoyens. Ainsi le CPE est-il un acteur essentiel de la vie de l’école. Mais il ne peut pas exempter les autres acteurs du souci qui est le sien, ni faire de la citoyenneté sa seule « chasse gardée ». Il incarne dans l’établissement une exigence mais il ne peut, à lui seul, la faire respecter. Il travaille à rendre les élèves plus lucides et responsables, mais il ne peut y parvenir en se limitant aux seules récréations dans lesquelles il organiserait régulièrement des ventes de croissants pour financer les sorties de ski. Il ne peut pas, non plus, isoler les questions disciplinaires de l’ensemble des apprentissages qui donnent sens à la présence à l’école. Les isoler aujourd’hui, c’est précisément s’interdire de les résoudre. Car aucune règle, aucun interdit n’ont de sens si on ne les met pas en rapport avec ce qu’ils autorisent, les savoirs qu’ils permettent de s’approprier, les satisfactions intellectuelles et sociales qu’ils permettent d’espérer. Le CPE joue un rôle essentiel quand il incarne un souci et sait le faire partager à tous les membres de l’équipe éducative. Le CPE est un acteur de premier plan pour autant qu’il sache donner la réplique à tous les autres partenaires de l’acte éducatif et que ces autres partenaires ne le relèguent pas dans le trou du souffleur. Le CPE est un des personnages clés de l’école à condition que son interlocution soit reconnue et que, sans empiéter sur les attributions des enseignants ou des autres cadres éducatifs, il garantisse la cohérence de la construction de la « cité scolaire ». Car la « cité scolaire » est si difficile à construire aujourd’hui qu’elle a bien besoin de la contribution de tous… et de ceux qui ont en charge « la vie scolaire » en particulier. Philippe MEIRIEU |