ADOLESCENCE

voir aussi l'article "Adolescent à l'école : est-ce possible ?"

Si, d'aventure, un voyageur du temps nous revenait des siècles passés, sans doute ne manquerait-il pas de nous demander - au milieu d'une foule d'autres questions - : « Mais comment peut-on être adolescent? »... C'est que - on l'oublie trop - l'adolescence n'a pas toujours existé; il est même aujourd'hui certains peuples, tout près de nous, qui ignorent totalement ce phénomène : on y passe, comme jadis dans nos sociétés, directement de l'état d'enfant à l'état d'adulte. En quelques jours, parfois en quelques heures, l'enfant quitte ses parents et l'état de dépendance absolue à leur égard, pour entrer dans le monde des adultes, avec toutes les responsabilités que cela comporte. Hier il se pelotonnait encore entre les bras de sa mère, aujourd'hui, demain au plus tard, il affrontera les difficultés d'un labeur quotidien, devra pourvoir lui-même à ses propres besoins, parfois même défendre sa vie ou son territoire les armes à la main. Hier ses proches s'amusaient de ses maladresses, on riait de ses gestes gauches ou de son langage approximatif, aujourd'hui il doit supporter le regard sans concession ni tendresse d'étrangers auxquels il lui faut se mesurer. Hier encore il pouvait jouer avec son corps dans le secret de sa couche sans que cela ne porte à conséquence, aujourd'hui il doit découvrir le corps de l'autre et la peur de ne pas être celui par qui vient le plaisir et la descendance.

Quand il suffisait d'un pas pour passer la frontière...

Ainsi, entre l'enfance et l'âge adulte le changement était radical. Mais, paradoxalement, parce qu'il était brutal, s'opérait dans les brefs instants d'un rite initiatique, au cours d'une cérémonie collective ou dans une relation duelle clandestine, le passage était peut-être plus facile. Le caractère toujours précipité, souvent violent, de la rupture permettait d'affronter les situations nouvelles sans état d'âme : du jour au lendemain on n'était plus un enfant, tout le monde le savait, un contrat était rompu, un autre entrait en vigueur; on passait une frontière.

On changeait d'état un peu comme on change de pays : un seul pas et tout est différent... la langue, la monnaie, les coutumes, les sanctions encourues en cas de faute et bien d'autres choses encore. Enfant, on peut parler pour ne rien dire; d'une certaine façon, même, on le doit, car c'est cela qui amuse les adultes ; adulte, chaque mot, on le sait bien, peut être retenu contre nous. Enfant, on paye d'un sourire, d'une caresse le bienfait qui est toujours, plus ou moins, notre dû; adulte, on paye "en espèces", avec du temps, des efforts, de la souffrance, le droit de vivre, d'avoir un métier, une place au soleil. Enfant, on pose des questions pour avoir des réponses, on interroge pour savoir ; adulte, nos questions sont toujours plus ou moins un moyen de nous faire valoir ou de faire valoir notre interlocuteur : notre langage est englué dans la hiérarchie et les instants où nous en sortons sont si rares qu'ils nous font crier au miracle. Enfant, on risque souvent d'être puni, mais on sait bien que la punition est toujours provisoire, qu'elle prélude à une réconciliation heureuse et que l'on ne se blottit dans son chagrin qu'avec la certitude que l'on viendra vous en sortir; adulte, les sanctions ont le goût de l'irrémédiable, elles marquent notre être d'une trace indélébile avec laquelle il faudra bien s'habituer à vivre.

Il faut aujourd'hui franchir un étrange no man's land...

Car l'adolescence, au fond, n'est rien d'autre que l'étirement, un étirement qui n'en finit pas de s'étirer, entre l'état d'enfant et celui d'adulte. Nos sociétés ont dilaté à l'infini le rite initiatique : ce n'est plus une journée, un mois, une année qui séparent pour chacun d'entre-nous l'enfant de l'adulte, c'est trois, quatre, cinq, parfois même dix ans. Dix années où l'on n'est plus enfant, où l'on n'a plus le droit à l'enfance et où l'on n'a pas encore le droit d'être adulte. Dix années où l'on ne doit plus se conduire en enfant et où l'on ne peut pas encore se conduire en adulte : plus question de se réfugier dans les bras de ses parents quand on a peur, mais pas question, non plus, d'exorciser sa peur dans une activité professionnelle ritualisée. Plus question de dire n'importe quoi pour attendrir son entourage, mais pas question encore de pouvoir parler d'égal à égal avec ceux qui ont des responsabilités. Plus question de jouer "comme un bébé", mais pas question encore de jouer à ces choses "sérieuses" que sont les affaires, la politique, les courses ou la guerre. À onze ans, on abandonne ses cubes mais on n'a pas sous la main de quoi vraiment construire autre chose que des châteaux de sable.

Et puis, à onze ans on n'a plus le petit corps que la mère lavait tous les jours avec douceur et patience mais on n'a pas encore le corps adulte qu'un autre pourra regarder, reconnaître et aimer. Quel corps a-t-on donc? Une sorte de corps intermédiaire, ni corps d'enfant, ni corps d'adulte, un corps sans consistance en quelque sorte, sans autre consistance que ces vêtements auxquels l'adolescent s'accroche avec une ténacité si souvent incomprise par les adultes.

L'adolescence, un progrès social mais aussi une source de difficultés psychologiques...

Ainsi, s'il est si difficile d'être adolescent c'est peut-être, tout simplement, parce que personne ne sait bien au juste ce que c'est que l'adolescence. Nous avons imaginé, il y a une centaine d'années à peine, d'extraire du circuit habituel de la vie des hommes une tranche d'âge pour la mettre, en quelque sorte, en quarantaine. Nécessité économique, sans aucun doute, quand il fallait former les jeunes à des tâches complexes que le seul compagnonnage traditionnel ne permettait pas de maîtriser. Nécessité sociale, aussi, quand on voulut légitimement lutter contre les injustices sociales et donner à tous les jeunes les mêmes chances, quel que soit leur environnement familial... l'entrée dans la vie adulte fut ainsi reculée de quelques années, le temps d'apprendre ce qui permettrait d'y être un peu moins manipulé.

Nul ne pense, évidemment, que nous pourrions, sur ces plans, refaire le chemin en sens inverse : notre société devient de plus en plus complexe et requiert, pour y exercer le moindre emploi, une formation qui ne peut pas être donnée simplement, comme jadis, "sur le tas". L'adolescence est donc bien une "conquête sociale" et il n'est pas question de revenir en arrière. Peut-on, pour autant, ignorer que l'ouverture de cet espace entre l'enfance et l'âge adulte est aussi source de difficultés psychologiques importantes ? Ce serait, à bien des égards, une attitude irresponsable... Même si la chose nous agace, même si nous sommes persuadés "qu'après tout ils ont bien de la chance de vivre aujourd'hui", même si nous avons parfaitement le droit, nous autres adultes, de revendiquer un peu de tranquillité d'esprit, le soir, quand nous rentrons chez nous, même si nous en avons assez d'entendre parler des problèmes de cheveux, de la copine avec qui on s'est fâché, de subir cette tristesse sans cause qui obscurcit leur visage, de nous épuiser dans ces batailles absurdes autour de l'argent de poche, même si nous en avons assez de cela et de tout le reste... il nous faut bien reconnaître qu'il n'est pas facile d'être adolescent.

L'apprentissage du pouvoir...

Car, ce qui se joue dans ce passage, dans cette transformation fantastique de l'esprit et du corps qu'est l'adolescence, c'est, en réalité, la découverte du pouvoir. Si l'adolescent se plaint souvent auprès de ses amis ou de ses confidents de l'excès d'autorité de ses parents, il oublie parfois que lui-même est un virtuose dans ce domaine. Qui n'a pas connu d'adolescent qui s' "essayait" ainsi sur son entourage, explorant le pouvoir qu'il pouvait exercer sur lui ? Les bouderies sans cause apparente, l'anorexie, la maladie, la provocation vestimentaire, sont ainsi, bien souvent, un moyen de tenir les autres à sa merci. Il n'est pas jusqu'à certaines formes d'échec scolaire que l'on ne puisse comprendre comme une façon de résister à l'influence de ses parents et, donc, d'exercer du pouvoir sur eux... Tout cela est absolument naturel : comment passer de l'état de dépendance de l'enfance - où les parents décident de l'essentiel pour vous - à l'autonomie d'un adulte responsable qui prend librement les décisions qui le concernent dans les domaines affectifs, professionnels, sociaux, politiques, etc. ? Comment y parvenir sans "prendre ses marques", sans tenter de voir jusqu'où l'on peut aller, sans avoir mesuré la résistance des autres à notre pouvoir ? Comment devenir un adulte qui saura exercer un pouvoir sainement, clairement, sans chantage, ni pression, si l'on n'a pas appris cela pendant ce temps de "vacance" qu'est l'adolescence ?

Evitons ici un malentendu: le pouvoir n'est pas une mauvaise chose en soi, ni une bonne d'ailleurs... Certains éducateurs ont parfois cru que l'exercice de leur pouvoir d'adulte était en lui-même pervers et qu'il fallait, quand l'enfant grandissait, cesser d'exercer le moindre pouvoir sur lui. Or, outre qu'il est toujours difficile de s'accorder sur l'âge exact où devrait intervenir cette suspension, la disparition de tout pouvoir est un leurre : la plupart de ceux qui croient abandonner le pouvoir récupèrent en séduction infiniment plus que ce qu'ils perdent en contrainte... et les adolescents sont ici toujours perdants puisqu'ils obéissent alors aveuglément à   un pouvoir qui n'ose pas dire son nom et qu'ils ne sont pas toujours capables d'identifier. Le vrai problème n'est pas de suspendre l'exercice du pouvoir, mais c'est d'armer l'autre pour qu'il puisse y résister et décider progressivement par lui-même de sa vie. Et c'est bien là l'enjeu fondamental de l'éducation au cours de l'adolescence.

Vers la séparation des pouvoirs...

Pour que l'enfant devienne un adulte autonome, il faut donc que l'adolescent apprenne à se dégager progressivement du pouvoir des adultes qui l'entourent pour décider lui-même librement. Il est trop d'adultes qui, en ce sens, n'ont pas vraiment vécu leur adolescence: ils continuent, alors qu'ils sont en pleine maturité physique et sociale, à se soumettre au désir de leurs parents... ils ne décident rien par eux-mêmes, mais agissent en toute chose comme s'il devaient réaliser un voeu que leurs parents auraient jadis fait pour eux. Ils oublient qu'il n'est de bonheur véritable des parents que dans l'émergence de la liberté de leur enfant et jamais dans sa soumission.

Il faut donc que l'adolescent trouve sa place; il faut qu'il puisse se mettre en jeu, pour qu'un jour, il puisse aussi "se mettre en je" et dire enfin : « C'est moi qui décide cela. Non pas parce que mes parents me l'ordonnent. Non pas, non plus, parce que c'est le contraire de ce que mes parents m'ordonnent. Mais parce que j'y ai réfléchi, j'ai mesuré les risques, je connais les difficultés auxquelles je devrai faire face, mais je sais aussi les joies qui m'attendent ». S'il peut parler et agir ainsi, alors, sans aucun doute, l'entrée dans les responsabilités sociales - professionnelles, affectives, politiques - sera aussi une entrée dans une vraie vie adulte.

Mais, pour que l'adolescent trouve sa place, faut-il penser, pour autant, que les adultes qui l'entourent doivent abandonner la leur? Certainement pas. Ce n'est pas en suspendant leur pouvoir qu'ils permettront au jeune de grandir mais en acceptant de le partager avec d'autres adultes, parmi lesquels, au milieu desquels le jeune va progressivement oser sa propre parole, oser sa propre différence. Et, puisque nous avons commencé avec Montesquieu en plagiant sa phrase célèbre - "Mais comment peut-on être persan?" -, continuons avec cet auteur en lui empruntant, pour le transférer au domaine éducatif, le principe de "la séparation des pouvoirs". Il existe, en effet, pour l'adolescent, trois grandes instances éducatives qui sont, en quelque sorte, les trois "pouvoirs" qui s'exercent sur lui : les parents, bien sûr, l'école, par ailleurs, et, enfin, ce que l'on peut regrouper sous le nom d'environnement socio-éducatif et qui comprend aussi bien les clubs sportifs, les associations culturelles ou religieuses, la presse et les médias. Chacune de ces instances doit exercer le pouvoir qui ressort de son domaine, mais, en même temps, elle doit apprendre à l'adolescent à résister au pouvoir des deux autres pour se construire sa liberté.

La famille ou la nécessité de la filiation...

Le petit d'homme, en effet, n'existe que dans une histoire et une histoire qui lui est transmise par les hommes. L'abeille vient au monde avec l'ensemble de ses comportements programmés génétiquement; d'une certaine manière sa vie entière lui est transmise avec et par son existence biologique. L'enfant, en revanche, vient au monde en ne sachant rien de ce qui fait vraiment l'identité de son espèce; il doit tout apprendre. C'est là ce qui fait sa spécificité. Il n'y a pas d'humanité en dehors de la transmission d'humanité. Il n'y a pas d'enfant sans filiation, pas d'homme possible en dehors de ce passage de relais que constitue l'éducation. L'enfant est donc d'abord un fils ou une fille, plus exactement il est toujours fils ou fille "de quelqu'un...", et nous laissons là la question de savoir si ses parents biologiques sont ou non les seuls à pouvoir assumer la fonction de filiation. Peu nous importe ici. Ce qui est essentiel, en revanche, c'est de bien comprendre le rôle de la famille comme lieu où se transmet et s'élabore une histoire. C'est d'abord toute l'histoire des hommes que récapitulent le langage que l'on apprend, les objets dont on se sert, les livres que l'on lit; mais c'est aussi cette histoire concrète, particulière, cette histoire qui met en jeu des personnages identifiés, des situations vécues, des moments d'inquiétude, des fous rires pris ensemble. Nous savons tous à quel point la famille c'est d'abord cela et nous savons tous à quel point nous avons besoin de cela. Sans cette épaisseur d'histoire, l'enfant flotterait dans une sorte de vide, il n'aurait aucun terreau où enraciner la moindre chose qui vienne de lui, il errerait en cherchant désespérément une histoire qui pourrait l'accueillir, il explorerait en vain l'univers pour trouver un objet, une prise, une toute petite prise où il puisse s'accrocher et dire enfin: "Je suis chez moi". Nous en connaissons ainsi des adolescents déracinés qui n'ont pas la moindre origine où articuler leur révolte et qui s'étourdissent alors dans la violence aveugle.

Mais, aussi important que soit l'enracinement dans l'histoire familiale, aussi essentielle que soit la transmission de cette histoire, on ne peut condamner l'enfant à s'y enfermer et à la reproduire indéfiniment. Il s'y épuiserait dans une fidélité impossible, incapable d'être à la hauteur des exigences d'un passé toujours idéalisé. Et pourtant on en connaît encore quelques-uns de ces adolescents qui n'ont pas pu prendre de distance avec le modèle familial et qui tentent désespérément de faire ce qu'ils imaginent devoir faire pour être dignes de leurs parents, voire de leurs ancêtres. Moins nombreux qu'autrefois certes, mais plus nombreux qu'on ne le croit, ils sont enfermés dans une histoire qui prend pour eux, souvent, les allures d'une prison. Et quand ils ne parviennent pas à être fidèles ou que l'étouffement survient, ils font alors tout sauter, traditions, valeurs, habitudes, attachements névrotiques et affections exclusives, dans une révolte qui n'est finalement qu'un dernier sursaut de fidélité : on n'est jamais aussi fidèle que quand on est enfermé dans l'alternative du tout ou rien, quand on ne peut pas se définir autrement que par l'adhésion totale ou le refus aveugle.

L'école ou la constitution d'une instance critique...

Aussi paradoxal et inadmissible que cela puisse apparaître à beaucoup, il faut d'abord aller à l'école pour prendre du pouvoir sur ses parents. On oublie trop, en effet, que le simple apprentissage de la lecture est apparu, à ses débuts, comme tout à fait subversif : ceux qui savaient lire pouvaient enfin contrôler les pouvoirs qui s'exerçaient sur eux, lire la Bible pour vérifier si ce que disait le curé était bien exact, lire la loi pour vérifier si leurs droits étaient bien respectés par le patron. Par quel étrange renversement ce qui était à l'origine un acte de prise de pouvoir s'est-il transformé, dans nos écoles, en un acte de soumission à l'autorité des adultes? Il nous faut retrouver le pouvoir libérateur des savoirs, sans quoi nous ne lutterons jamais vraiment contre l'échec scolaire. Il nous faut retrouver ce goût d'apprendre et d'abord pour y voir clair sur sa propre naissance, pour comprendre le monde qui nous entoure et nous dans ce monde, pour démêler les arguments d'autorité des vérités provisoires de la science. Il faut aller à l'école pour pouvoir tenir tête à son père, apprendre à user de la raison pour pouvoir critiquer la tradition, découvrir le pouvoir libérateur des connaissances, se dégager de ses préjugés. Il faut aller à l'école pour sortir de l'alternative du tout ou rien dans laquelle s'enferment toujours ceux qui restent à jamais en face de leur histoire familiale dans l'alternative infernale de la fascination et de la répulsion.

L'environnement socioculturel ou la découverte du tiers...

On se souvient bien en France, et peut-être même en Belgique, de cette époque où l'adolescent était l'objet d'une rivalité terrible entre les parents et l'instituteur. Pour ce dernier, la famille était synonyme de superstition et d'inégalité, seule l'école pouvait apporter la rationalité et l'égalité des chances. Il n'en est plus tout à fait ainsi aujourd'hui, fort heureusement. On pourrait craindre néanmoins que la rivalité, toujours latente et prête à resurgir, entre l'école et la famille fasse de l'adolescent un enjeu de pouvoirs qui s'affrontent et que chacune des parties tente de le ravir à l'autre pour se l'approprier.

C'est pourquoi il est si important que l'adolescent existe ailleurs, dans des espaces où il puisse échapper tout à la fois aux contraintes de la filiation et à celles de l'apprentissage systématique de la rationalité. C'est pourquoi il est si nécessaire qu'il puisse s'investir dans des activités où il n'ait à porter ni l'exigence affective de ses parents, ni l'obligation d'exhaustivité et de mesure que lui impose l'institution scolaire. C'est pourquoi il est si essentiel qu'il puisse choisir de participer à des groupes de football ou de théâtre, de faire de la danse ou de la philatélie, de se passionner pour les animaux du pôle Nord ou la construction de modèles réduits: là, il aura des contacts avec d'autres enfants, mais aussi avec des animateurs qui pourront jouer un peu le rôle de l'oncle dans une société où celui-ci s'éloigne de plus en plus; il pourra trouver des personnes à qui parler sans craindre de leur "faire de la peine" ou de leur fournir des arguments pour le carnet de notes mensuel. Il pourra se lancer dans une activité en oubliant toutes les autres, en s'y investissant affectivement de manière intense - ce que l'école lui interdit légitimement de faire en exigeant de lui qu'il équilibre son effort entre toutes les disciplines.

En réalité, c'est cette participation à la vie sociale dans des cadres relativement indépendants des cadres familiaux et scolaires qui est garante de l'émergence progressive de l'autonomie de l'adolescent. C'est par là, sans doute, qu'il peut trouver un équilibre progressif... mais un équilibre qui ne s'accommode guère de l'immobilité: tout cycliste connaît parfaitement cela. Pourtant les adultes que nous sommes l'oublions souvent, au point de préférer parfois que nos enfants soient "sages comme des images" plutôt que de les aider à vivre dans les contradictions et les conflits qui leur permettraient de se préparer à leur vie d'adultes.

"Mais comment peut-on être adolescent?" Nul ne le sait sans doute. On ne définit pas l'adolescence. D'ailleurs les adolescents n'ont rien à faire de nos définitions. Ils ont plutôt besoin qu'on tente de vivre avec eux. En acceptant leurs contradictions. Comme nous acceptons les nôtres... nous qui, au fond, ne savons peut-être pas vraiment ce que c'est qu'être adulte.

Philippe MEIRIEU