DEMOCRATIE

Il n'est jamais vraiment inutile de rappeler que, dans une démocratie, le vote d'un individu majeur reste bien l'acte politique par excellence, celui par lequel tous les citoyens, sur un pied d'égalité, participent à l'exercice du pouvoir et pèsent sur des choix qui conditionnent tous les autres. On ne peut laisser penser aux jeunes générations qu'il est indifférent de choisir tel ou tel homme ou parti politique, puisque eux-mêmes, ensuite, vont s'engager dans des manifestations de lutte ou de soutien de ces mêmes hommes et partis...

C'est pourquoi il faut, tout à la fois, développer une éducation au politique et, par ailleurs, marquer solennellement l'entrée dans la vie politique.

Développer l'éducation au politique d'abord : par la mise en place avec les enfants et les adolescents, partout où c'est possible, d'instances délibératives disposant de pouvoirs sur des objets et dans des domaines précis ; instances accompagnées par des adultes qui permettent de dégager les conditions d'une véritable délibération, facilitent les prises de décision et en assurent le suivi. Rien de démagogique dans cette démarche : en précisant, d'entrée de jeu, ce qui relève des prérogatives du groupe et ce qui n'est pas négociable, l'adulte donne un cadre à la fois sécurisant et dynamisant. En famille, à l'école, dans le champ social, il faut donc identifier des objets sur lesquels, clairement, les enfants et les adolescents peuvent légiférer avec les adultes. Il en existe toujours, et bien plus qu'on ne le pense. On peut discuter, à la maison, de l'organisation de telle ou telle activité de vacances, du choix d'une émission de télévision ou de la manière d'aménager telle ou telle pièce. En classe, de la place et de l'efficacité respective des travaux individuels et en petits groupes, de l'implication de chacun dans un projet collectif, de la manière de le mener à bien. Au Centre social, de la programmation des activités dans l'année, de la façon de les faire connaître, des partenaires à associer, etc. Il est, bien évidemment, essentiel, d'indiquer, chaque fois, ce qui ne peut, en aucun cas, être discuté. Il y a, en famille, des contraintes financières que seuls les parents maîtrisent, des questions de sécurité qui relèvent de leur responsabilité directe, des décisions qui s'imposent pour ne pas obérer l'avenir de l'enfant et lui laisser, plus tard, le libre choix de sa vie. Il y a, en classe, les programmes nationaux et le règlement intérieur de l'école ou de l'établissement, les exigences afférentes aux savoirs dont l'enseignant est porteur, comme les impératifs liés à la sécurité psychologique et physique des personnes. Il y a, dans le champ social, les orientations politiques de l'action sociale qui s'imposent à tous, les règles de fonctionnement liées aux statuts des associations et aux textes réglementaires, etc. Tout cela ne se discute pas. Mais l'existence même de ce non négociable dégage un espace d'apprentissage de la démocratie, au sens ou Rousseau la définissait : « L'obéissance aux règles qu'on s'est soi-même prescrites est liberté. »

Déjà, à l'occasion de cette éducation au politique, l'éducateur devra, en fonction de l'âge des enfants, donner des indications sur la manière dont la politique se construit : notions élémentaires de droit et principes fondateurs de la démocratie. Il faudra expliquer, à l'occasion de telle ou telle situation, pourquoi « nul ne peut se faire justice soi-même » et pourquoi « nul ne peut être à la fois juge et parti ». Il faudra montrer que le fait d'être, à un moment donné, en minorité n'exonère pas de l'obligation d'obéir à la règle majoritaire, que c'est même la condition pour pouvoir, plus tard, se revendiquer de cette même règle. On est toujours là dans l'éducation au politique, mais on aborde déjà, plus précisément, le fonctionnement de la politique. Dans ce cadre, inévitablement, on sera amené à définir la notion de citoyen et à aborder celle de majorité civile, pénale et politique. Belle occasion pour réfléchir, alors, sur l'entrée concrète dans la vie politique de son pays !

Il faut, en effet, marquer solennellement cette entrée dans la politique . Déjà, on voit, ici ou là, des cérémonies de remise des cartes d'électeurs. C'est une bonne chose et - enfin ! - un rituel qui peut avoir du sens. Se substituer avantageusement au permis de conduire et même au baccalauréat. À condition d'éviter une folklorisation ou une récupération politicienne quelconque. À condition que les élus, les enseignants, les éducateurs, les parents prennent cela au sérieux, préparent ces cérémonies avec exigence et y impliquent les jeunes adultes au maximum. On pourra considérer, alors, que cette entrée solennelle dans la politique marque un terme, non pas à la formation politique - qui doit se poursuivre tout au long de la vie - mais à l'éducation politique organisée par les adultes pour la génération qui vient. Entrer dans la politique à la majorité, signifiera alors clairement assurer sa part de responsabilité dans le monde.

Philippe MEIRIEU

Sur ce sujet, voir aussi ma préface au livre sous la direction de constantin Xypas, Citoyennetés scolaires (PUF).