DEVOIRS (A LA MAISON) |
Assez curieusement et par un étrange renversement, les « devoirs scolaires » sont aujourd’hui identifiés comme des travaux que l’on fait à la maison, ou, pour les élèves internes, en étude… mais, dans tous les cas en dehors de la présence d’un professeur. Certes, il existe des structures encadrées par les enseignants sous des noms divers (aide individualisée, accompagnement personnel, tutorat, etc.), mais, dans l’immense majorité des cas, ce qui se fait là relève plutôt d’une « pédagogie de soutien » qui reprend des notions mal comprises en classe et n’exonère en rien l’élève de son travail personnel à la maison. Pourtant, historiquement, le travail personnel de l’élève – qu’il concerne la mémorisation, l’entraînement, la recherche ou l’élaboration personnelle – a été conçu comme un des éléments fondamentaux de la scolarisation, devant être effectué en classe ou, au moins, sous la responsabilité directe de l’école. Dans les collèges jésuites, puis dans les lycées napoléoniens qui s’en sont inspirés, le temps de « cours » à proprement parler n’excédait pas trois heures par jour ; le reste était consacré à « l’étude », directement avec le professeur ou sous la responsabilité de moniteurs plus âgés. Or, depuis les années 1950, le temps de cours n’a cessé d’augmenter au détriment du temps d’études, jusqu’à externaliser ce dernier presque complètement. Cela s’est effectué en raison de l’introduction progressive de nouvelles disciplines et du désengagement des professeurs de ces tâches. On arrive ainsi aujourd’hui, en dehors des disciplines comme l’Éducation physique et sportive ou des heures de laboratoire, à une situation assez troublante : les élèves vont en classe pour prendre de l’information et repartent chez eux pour « faire leurs devoirs ». Cette situation a, très tôt, été dénoncée par des psychologues comme Henri Wallon (1879-1962) ou des pédagogues comme Robert Gloton (1906-1986). Ce dernier rédigea un rapport qui aboutit même, en 1956, à l’interdiction (toujours en vigueur et jamais vraiment respectée) des devoirs à la maison à l’école primaire. Que reproche-t-on aux devoirs à la maison ? D’une part, d’alourdir la charge des enfants et adolescents au détriment d’autres occupations comme le sommeil, le sport ou les activités culturelles ; d’autre part, d’entériner, voire d’accroître les inégalités scolaires, en faisant effectuer le travail dans des contextes matériels, sociologiques et psychologiques très hétérogènes ; enfin, de renvoyer en dehors de la classe des moments d’appropriation et des temps d’apprentissage méthodologique (apprendre une leçon, réviser un contrôle, faire un résumé ou une dissertation, préparer un exposé, etc.) qui sont absolument décisifs pour la réussite scolaire. Les défenseurs du travail à la maison argumentent, eux, en faveur de cette pratique au nom d’une nécessaire formation à l’autonomie et de la nécessité de réserver les temps de classe – insuffisants aux regards des exigences des programmes – à des cours collectifs indispensables. Néanmoins, les chercheurs et les pédagogues, s’entendent, aujourd’hui, dans leur immense majorité, sur quelques principes simples :
Concernant la méthodologie du travail personnel, plusieurs directions doivent être privilégiées. Il faut, en fonction des besoins des personnes, fournir une aide adaptée concernant la gestion du temps et l’équilibre des différentes activités dans la semaine et tout au long de l’année. Il faut, également, travailler à l’identification des mécanismes fondamentaux de l’apprentissage : mentalisation de la tâche à accomplir et de ses critères de réussite, planification, décentration et correction, repérage et stabilisation des stratégies individuelles d’apprentissage les plus efficaces, autoévaluation, entraînement au transfert des acquis dans des contextes de plus en différents. À cet égard, le travail à la maison reste un enjeu fondamental dans le processus de démocratisation de l’institution scolaire et de l’accès aux savoirs. L’école et les enseignants doivent investir cette question et non la laisser traiter par les officines privées de soutien scolaire ou par le seul secteur associatif. Il en va de l’équité de l’éducation entre tous les jeunes Français. Philippe Meirieu |