METHODE PEDAGOGIQUE |
L'usage de l'expression "méthode pédagogique" est extrêmement extensif dans la littérature pédagogique. De manière très générale, on peut cependant distinguer trois acceptions dominantes... D'une part, l'expression désigne un courant pédagogique cherchant à promouvoir certaines finalités éducatives et suggérant, pour cela, un ensemble plus ou moins cohérent de pratiques : c'est en ce sens que l'on peut parler des "méthodes traditionnelles", des "méthodes nouvelles", des "méthodes actives", des "méthodes Freinet", etc. Ce qui fait alors l'unité de ces méthodes c'est l'inspiration générale qui les guide et qui les amène à utiliser, en les ordonnant à un projet éducatif cohérent, diverses situations et divers outils. Ainsi, dans "les méthodes Freinet", va-t-on mobiliser de nombreuses ressources et organiser plusieurs séries d'activités: des travaux en grands groupes autour d'enquêtes et de l'imprimerie dans la classe, des recherches documentaires en petits groupes sur des thèmes précis, des textes libres individuels, un système de "brevets" permettant d'assurer des apprentissages de base et offrant des possibilités dans lesquelles les élèves peuvent se spécialiser, un "conseil" où se discute le fonctionnement de la classe... Toutes ces activités sont ordonnées autour d'une conviction centrale: le développement de l'enfant est déterminé par son engagement dans des travaux dont il perçoit la signification et qui l'amènent à effectuer des apprentissages finalisés. D'autre part, l'expression "méthode pédagogique" est utilisée pour désigner précisément un certain type d'activités visant à permettre certains apprentissages ou à développer certaines capacités : ainsi parle-t-on de la « méthode globale d'apprentissage de la lecture » de Decroly, de la « méthode des projets » chez Dewey, de la « méthode d'enseignement programmé » de Skinner, etc. Ce qui fait ici l'unité de la méthode c'est la nature de l'activité dans sa spécificité pédagogique, mettant en oeuvre des situations et des outils identifiés. Ainsi l'enseignement programmé est-il une méthode qui fait appel à un diagnostic individuel préalable, qui met en place des progressions linéaires et organise des situations de travail individuelles très guidées utilisant un ensemble de fiches ou un ordinateur. Enfin, l'expression "méthode pédagogique" peut désigner un outil ou un instrument spécialisés dont les usages sont précisément codifiés et qui sont liés à des objectifs très exactement déterminés : ainsi peut-on parler de "la situation-problème" ou des "problèmes ouverts" en mathématiques comme de méthodes pédagogiques identifiées, devant obéir à certaines règles et être utilisées dans certaines conditions ; le problème "trouve les deux derniers chiffres de 2 22 " est alors un "problème ouvert" utilisable en sixième à un moment donné de la progression d'une classe, si l'on n'impose aucune procédure de travail et que l'on mette simplement les élèves par petits groupes pour qu'ils débattent, se contredisent, s'entraînent à conjecturer, à argumenter et à produire des connaissances; le professeur de mathématiques utilisera cette "méthode" de manière non systématique et en fonction des opportunités offertes par le programme, le niveau et la disponibilité de ses élèves, etc. De la même manière, le "training group" ou "groupe de base" proposé par la "non-directivité" est une méthode qui impose un protocole précis: une durée suffisamment longue, des conditions institutionnelles particulières (l'obligation de présence), le silence du formateur qui ne donne aucune directive de travail au groupe et se contente de lui renvoyer une image de son propre fonctionnement; cette méthode peut être employée alors dans la formation des éducateurs spécialisés ou des animateurs de vacances dans des perspectives cliniques bien définies. Dans le domaine de la formation des adultes, la méthode dite du "Training Within Industry" (T. W. I.), fondée en 1941 aux Etats-Unis par Charles Dooley, consiste à décomposer l'apprentissage professionnel en cinq étapes immuables: faire le geste lentement devant l'ouvrier en formation sans expliquer quoi que ce soit, faire le geste lentement en expliquant ce que l'on fait, faire faire le geste lentement à l'ouvrier en formation en lui demandant d'expliquer ce qu'il fait, faire faire le même geste à l'ouvrier sans parler et de plus en plus vite, procéder à un entraînement systématique et reprendre la démarche chaque fois que l'ouvrier rencontre une difficulté Ainsi voit-on que les trois usages de l'expression "méthode pédagogique" sont ordonnés sur un axe qui va du plus général au plus précis, d'une inspiration à un outil, d'une théorie à un instrument. Aussi, en réalité, vaudrait-il mieux dire qu'il s'agit de trois repères sur une ligne continue et que l'on peut situer sur cette ligne, en fonction de leur degré de généralité ou de précision, à peu près toutes les propositions pédagogiques. Par ailleurs, on ne manquera pas de remarquer que chaque acception que nous avons proposée de la notion de "méthode pédagogique" est inclusive par rapport aux autres: la première contient les seconde et troisième; et ces dernières, même si elles ne le précisent pas explicitement, renvoient toujours à des finalités et statuent, d'une manière ou d'une autre, sur ce qu'il convient de mettre en place comme rapport aux savoir, rapport au formateur et rapports des apprenants entre eux. Rien n'est neutre dans ce domaine et tout choix constitue un engagement: l'enseignement assisté par ordinateur n'est jamais exclusivement lié à des questions d'efficacité, il est toujours articulé à certaines représentations de l'apprentissage (essentiellement, aujourd'hui encore, behavioristes) ; de la même manière, le cours magistral ou l'apprentissage par coeur de poésies sont des méthodes qui renvoient à certaines conceptions implicites de la construction des savoirs ou de la culture à promouvoir dans la société. C'est pourquoi on peut se demander si la notion de "méthode pédagogique" est bien pertinente et s'il ne conviendrait pas de lui en substituer une autre - ou, au moins, de la compléter par la notion, plus opératoire sans doute, de "modèle pédagogique". Méthodes et modèles pédagogiques : les trois pôles à articuler Si l'on cherche ce qui réunit tout ce que nous avons compris sous le vocable de "méthode pédagogique", on découvre qu'il s'agit, en fait, toujours, d'un effort pour combiner trois séries de données hétérogènes référant chacune à un pôle de la réflexion : le pôle axiologique, ou la dimension des valeurs, le pôle scientifique, ou la dimension des connaissances psychologiques, sociologiques, linguistiques, épistémologiques, etc., et le pôle praxéologique, ou la dimension des outils et instruments mobilisables pour l'action . Tout modèle pédagogique, statue, en effet, sur les valeurs qu'il entend promouvoir. Bien souvent, d'ailleurs, il statue moins par ce qu'il annonce (les valeurs annoncées sont rarement discriminantes: personne n'est contre "l'épanouissement de l'enfant" ou "l'accession à l'autonomie"!), mais par ce qu'il donne à lire à travers ce qu'il propose, la manière dont il le propose et les exemples qu'il met en avant: il y a, ainsi, une manière d'imposer la non-directivité qui en dit long sur les velléités autoritaires de ceux qui la prônent comme il y a une manière d'exalter la libération de l'élève par l'accés à la culture qui, en ne prenant pas en compte les conditions d'accés à cette culture, est, en réalité, une forme véritable de non-directivité, voire une manière d'entériner les injustices sociales... Nous devons donc toujours interroger un modèle pédagogique sur les valeurs dont il est porteur et rien ne nous permet, ici, d'éviter d'avoir à choisir. Il n'y a pas de modèle pédagogique qui s'imposerait à nous sans nous interpeller sur le type d'homme et de société que nous voulons construire. Cela ne veut pas dire, pour autant, que la validité d'un modèle pédagogique ne dépend pas des connaissances scientifiques qu'il met à contribution. Nous savons bien que tous les modèles cherchent à se légitimer en s'appuyant sur des acquis scientifiques, psychologiques le plus souvent; c'est ainsi que les "méthodes actives" ont pu se présenter comme une sorte d'opérationalisation pédagogique de la psychologie constructiviste piagétienne... En réalité, elles ont bien fait appel à cette psychologie mais cet appel - plutôt qu'à d'autres formes d'appui scientifique: la psychologie différentielle, la psychanalyse ou la sociologie de Durkheim - a été lui-même l'objet d'un choix antérieur. Ce qui ne veut pas dire que les étayages scientifiques soient inutiles, bien au contraire, mais ils ne sont pas "fondateurs" au sens où ce n'est pas d'eux que l'on peut déduire une pédagogie. Ils représentent une des trois dimensions de tout modèle. La troisième dimension est représentée, elle, par le pôle proprement instrumental des outils et des situations : un modèle pédagogique doit, en effet, inventer des instruments qui soient à la fois cohérents avec ses finalités, éclairés par les connaissances scientifiques qu'il mobilise et directement utilisables... On pourrait, en effet, parfaitement imaginer que des finalités éducatives appuyées par des savoirs scientifiques sur le développement de l'enfant et son environnement sociologique ne puissent donner naissance à aucun outil; nous aurions alors là un axe interprétatif solide mais, en l'absence de propositions d'action, il ne s'agirait pas d'un modèle pédagogique En face de tout ce qui se prétend une "méthode pédagogique", on ne saurait donc trop recommander de s'interroger tout à la fois sur les trois pôles que nous venons de décrire et cela sans se laisser fasciner ou absorber par l'un d'entre eux : une méthode pédagogique qui se réduirait à une interrogation permanente sur les finalités n'intéresserait que des hommes et femmes totalement dégagés de toute implication; une méthode qui ne serait que l'exhortation à vénérer une théorie scientifique ferait l'impasse sur ses propres choix idéologiques et, de plus, se condamnerait à l'inaction; une méthode qui totémiserait des outils sans se référer aux finalités qu'ils servent et aux appuis scientifiques qui permettent de comprendre comment ils fonctionnent, agirait totalement à l'aveuglette. Une véritable méthode pédagogique est un modèle lucide sur ce qui le constitue et attentif à l'équilibre entre ces trois pôles. Méthodes et modèles pédagogiques: les différentes composantes Si l'on s'attache maintenant, non plus aux trois pôles dont la configuration délimite une méthode pédagogique, mais à ce qui la constitue sur le plan de son organisation interne, on peut distinguer cinq composantes essentielles : le degré de didactisation, les situations utilisées, les outils mobilisés, la nature de la relation pédagogique proposée et les modalités d'évaluation envisagées. Bien évidemment, tout cela peut faire l'objet d'une infinité de combinaisons et ne fournit qu'une grille de lecture parmi d'autres . Le degré de didactisation renvoie à la position des savoirs enseignés par rapport aux champs sociaux de leur émergence. Il faut se souvenir, en effet, que la formation des hommes s'est d'abord effectuée "sur le tas", par un contact direct avec les pratiques sociales. Ce n'est qu'à partir du XVIIème avec Comenius et, surtout, du XVIIIème siècle, avec l' Encyclopédie , que l'on a formé le projet de dégager les savoirs des lieux de leur constitution pour les présenter de manière systématique et progressive dans des livres et dans des écoles. On a ainsi considérablement gagné en rigueur didactique par rapport à l'apprentissage "par la vie", mais on a alors perdu en finalisation de ces savoirs, ceux-ci devenant progressivement autonomes et se développant de manière formelle dans des situations purement didactiques où l'élève ne voit plus "à quoi ils servent" (ce que Freinet nommait "la scolastique"). C'est ainsi que le grand débat pédagogique de ce siècle renvoie, pour une très large part, à cette histoire et aux questions qu'elle pose: faut-il continuer à dégager les savoirs de toute implication pour les présenter de manière encyclopédique dans des lieux de formation spécifiques? Ou bien faut-il réarticuler les savoirs aux pratiques sociales de référence et retrouver avec les apprenants les situations "naturelles" qui leur donnent du sens? C'est là, très largement, le débat entre "méthodes traditionnelles" et "méthodes actives", cours magistral et pédagogie du projet. C'est aussi ce débat que veut dépasser la "pédagogie par alternance" en articulant la logique de la production qui produit du sens et la logique de la formation qui produit de la rigueur. C'est, enfin, ce débat qui permet de comprendre comment se positionnent les différentes méthodes pédagogiques en ce qui concerne le degré de didactisation qu'elles proposent. Les situations pédagogiques proposées par les différentes méthodes peuvent être classées en trois catégories selon la structure de la communication qu'elles proposent. C'est ainsi que l'on peut distinguer des situations impositives collectives (le cours magistral et ses variantes technologiques: film, télévision, etc.), des situations interactives (toutes les formes de travail de groupe) et des situations individualisées (qui vont de l'entretien avec un tuteur à la lecture individuelle d'un ouvrage, l'interrogation écrite ou l'étude grâce à un didacticiel). Les recherches s'accordent, en général, pour considérer que le degré de guidage cognitif varient ici en sens inverse de ce que l'on croit généralement; une situation magistrale perçue souvent comme très directive ne présente que peu de contraintes intellectuelles: pourvu que l'élève adopte un comportement qui donne l'impression d'être à l'écoute, son activité intellectuelle véritable est laissée entièrement à son initiative; en revanche une activité très individualisée comporte un contrôle beaucoup plus étroit de l'activité cognitive et la possibilité d'intervenir rapidement en fonction des difficultés qui apparaissent; les situations interactives peuvent, elles, être plus ou moins guidées selon le mode de fonctionnement qui est proposé ou imposé au groupe. En réalité, l'efficacité d'une situation pédagogique n'est pas liée à la structure apparente des relations interpersonnelles mais à la présence d'un conflit socio-cognitif chez l'apprenant: si les apports nouveaux entrent véritablement en interaction avec les représentations ou conceptions antérieures et que, à partir de cette interaction, le sujet peut stabiliser un nouveau système de représentations, alors il y aura véritablement progression. C'est donc bien cette question de l'existence ou non d'un véritable conflit socio-cognitif qui doit être posée quand on s'interroge sur la portée d'une méthode pédagogique en termes d'apprentissages. Les outils d'apprentissage peuvent être très divers: c'est, aussi bien, le texte écrit, la parole, le corps, des objets de toutes sortes à manipuler ou des technologies éducatives (audio-visuel, informatique). Une même situation peut donc utiliser des outils différents et l'efficacité de ceux-ci est, sans aucun doute, à étudier en fonction de la nature de l'objectif poursuivi mais aussi des stratégies individuelles préférentielles utilisées par chaque apprenant. C'est dans ce sens qu'il convient d'interpréter et d'utiliser les données sur les "profils pédagogiques" qui montrent que chacun se construit plutôt des images mentales auditives, visuelles ou kinesthésiques (ces variables ont été particulièrement développées par A. de la Garanderie et la "programmation neuro-linguistique"). Dans cette perspective, la découverte par l'apprenant de son profil pédagogique lui permet d'utiliser préférentiellement les outils les plus efficaces pour lui. Le type de relation pédagogique n'est pas toujours lié de manière automatique à une méthode donnée: la même situation utilisant les mêmes outils peut être gérée de manières très différentes. Le formateur peut avoir un mode de gestion plutôt directif, plutôt non directif ou plutôt néo-directif (Lewin parle, lui, de leadership autoritaire, du "laisser-faire" et de la gestion démocratique; mais ces catégories, empruntées à l'étude psychosociologique des groupes, ne paraissent pas adaptées pour caractériser les relations proprement pédagogiques). En fait, on peut considérer qu'il y a relation directive en formation quand le mode de gestion est décrété à l'avance et qu'aucune régulation n'intervient en cours de route; il y aura, en revanche, gestion non-directive quand le mode de gestion est décidé et remis en question en permanence par le groupe d'apprenants lui-même (ce qui ne veut pas dire que, au sein de ce groupe, il n'y aura pas de phénomènes de prise de pouvoir par certains de ses membres, mais ce qui signifie plutôt plutôt que l'intervention sur ces prises de pouvoir est considérée par le formateur comme n'étant pas de son ressort); enfin, on peut parler de néo-directivité quand un mode de fonctionnement est décidé par le formateur mais que celui-ci le remet en question régulièrement avec tous les apprenants en s'efforçant d'impliquer progressivement ceux-ci dans sa régulation. Enfin, une méthode pédagogique se caractérise par son mode d'évaluation . En effet, les chercheurs ont de plus en plus tendance à considérer que l'évaluation n'est pas seulement une procédure finale qui n'aurait pas d'impact sur le déroulement de la formation elle-même et qui en sanctionnerait simplement le terme. La manière d'évaluer est une composante essentielle de toute la méthode: d'une part, parce que l'on assiste toujours à un pilotage par l'aval (une formation finit par n'attacher vraiment d'importance qu'à ce qu'elle a décidé d'évaluer); ensuite parce que les procédures d'évaluation modifient fortement l'ensemble du dispositif. En ce sens, sont particulièrement déterminants trois facteurs: l'existence d'une "évaluation diagnostique" (ou "pronostique") grâce à laquelle on peut moduler le déroulement de la formation en fonction des besoins des apprenants, la construction avec les apprenants des critères de l'évaluation finale (telle qu'elle est proposée par le courant de l'"évaluation formatrice" initialisé par J.J. Bonniol et G. Nunziati), la présence d'évaluations partielles critériées (telle que la propose l'"évaluation formative" définie par Scriven). Au total, on voit qu'une méthode pédagogique comprend un ensemble de composantes extrêmement variées et qui peuvent être l'objet de combinaisons multiples. C'est pourquoi il importe qu'après avoir défini son "modèle pédagogique" en articulant les trois pôles définis plus hauts, le praticien puisse gérer de manière optimale l'ensemble de ces composantes: cela ne signifie nullement que le pédagogue doivent faire précéder toute prise de décision d'une étude exhaustive de tous les éléments susceptibles d'éclairer ses choix. Une telle manière de procéder conduirait d'ailleurs immanquablement à surseoir systématiquement à l'action au nom du primat de la perfection de la connaissance. Le pédagogue apprend aussi - et peut-être surtout - par l'action. L'important est qu'il sache répercuter l'approximation inévitable dans la prise de décision en flexibilité pour ses actions futures en fonction de l'analyse des résultats obtenus. C'est là formuler autrement l'exigence fondatrice d'une pédagogie différenciée qui, loin d'être une forme d'adaptation scientifique des méthodes pédagogiques aux différences interindividuelles des élèves, est un effort constant pour adapter et réguler avec eux les situations d'apprentissage. Philippe MEIRIEU |