TIERS-LIEU

Dix thèses sur l'éducation aux convictions par le tiers-lieu éducatif

Pourquoi ce texte ? Présenté sous forme de thèses, c'est-à-dire de propositions que l'on tient pour vraies et qu'on se propose de défendre avec des arguments, le texte proposé ci-dessous est la conclusion du travail d'un groupe qui s'est réuni à l'initiative du club de l'actualité de Confrontations depuis février 2004 sur le thème de l'acquisition des convictions dans un espace dénommé tiers lieu éducatif. Cinq réunions ont été organisées et ont donné lieu à débats dont les comptes-rendus, distribués en leur temps, seront prochainement disponibles sur le site de Confrontations (1). Ils témoignent, au-delà d'une irréductible diversité des points de vue, de constatations communes notamment sur deux points importants :

Il y a mutation, c'est-à-dire crise, des grands systèmes de conviction politiques, économiques, philosophiques ou religieuses. Un bref rappel est nécessaire. Les grandes idéologies sont en déclin. Les causes en sont diverses : l'individualisme méthodologique progresse, quand ce n'est pas la revendication   d'identité ou d'indépendance des petits et des grands groupes sociaux. S'y ajoute l'éclatement des structures de tous ordres qui ont longtemps servi d'ancrage aux individus. Les mouvements de jeunesse et d'éducation populaire vivent difficilement. Soumis à des influences contradictoires, et devant des problèmes nouveaux que les adultes ne leur commentent pas suffisamment, trop de jeunes sont tentés par le repli sur eux-mêmes et l'anomie...

La nécessité de l'éducation n'a jamais été aussi vivementressentie. A l'appui de ce second constat, on citera comme témoins : les parents, qui souhaitent être aidés pour répondre aux conséquences de la démocratisation des collèges et des lycées, les enseignants, de plus en plus convaincus que l'éducation est un pré-requis de l'enseignement des disciplines, alors que tout apprentissage est éducatif. Les médias, de leur côté, sauf exceptions, confisquent une influence éducative au service de leurs seuls intérêts.

Les dix thèses qui suivent sont proposées pour être soutenues par ceux qui veulent agir.

Christian Join-Lambert, Jean-Louis Piednoir, Edmond Vandermeersch

(1) site de Confrontations : www.confrontations.fr


Dix thèses :

1) Des dangers menacent le passage des jeunes à l'âge adulte : le repli communautariste, la domination d'une doctrine officielle ou d'un « politiquement correct » trop souvent véhiculé par les grands médias, la marchandisation des loisirs. Mais aussi, malgré la multitude des sollicitations dont les jeunes sont l'objet, l'anomie et le repli devant un monde trop souvent indifférent aux problèmes qui les préoccupent. Minoritaires en effet sont ceux qui sont vraiment aidés à construire leur identité.

2) Il existe dans la société plusieurs institutions et divers lieux qui contribuent à l'éducation des jeunes. Cette pluralité est un fait, et elle est justifiée en droit. Demander à l'école d'être responsable du tout de l'éducation, c'est la surcharger inutilement. Hors de leur famille et de leur école, les jeunes ont besoin d'un troisième lieu.

3) La conviction de l'éducabilité de tous les jeunes est, selon nous,au coeur de toute entreprise éducative. Elle doit fonder l'effort que nous attendons des pouvoirs publics pour que l'éducation des convictions par le tiers lieu éducatif soit possible.

4) Dans la construction des convictions de chacun, le choix des critères correspond à deux mouvements distincts. Il est en effet nécessaire de distinguer

-  d'une part, l'apport de valeurs que la société considère comme des universaux, qui sont traduites dans le droit positif et doivent être partagées par tous (droits de l'homme, égalité homme/femme, bioéthique, liberté dans le choix de ses engagements etc...)

- d'autre part, l'appropriation individuelle des convictions lorsque ces mêmes valeurs sont reçues et adoptées   par les individus pour commander leurs décisions et leur action. Elles   peuvent résulter de choix propres à chaque personne, philosophiques, religieux, sociaux, politiques...

La laïcité fournit un cadre pour l'organisation de l'ensemble et le dialogue entre les diversités.

5) La société a besoin d'individus aux convictions fortes. Ils sont les vecteurs du progrès. Il faut des lieux où on se préoccupe de l'acquisition des convictions.

6) Plus précisément, des lieux où les jeunes puissent construire leurs convictions pour l'action et la réflexion sont nécessaires. A côté des savoirs objectivement établis et des valeurs communes qu'enseigne l'école, les convictions relèvent de la liberté du sujet ; elles se réfèrent au croire ou à la signification que chacun donne à sa vie, qui, par nature, échappe au cadre scolaire mais qui est indispensable à la vie démocratique et à l'exercice de la liberté du citoyen.

Ces lieux constituent ce que nous appelons le « tiers lieu » éducatif, qui comprend aussi d'autres lieux spécialisés, par exemple pour les loisirs, le sport, la musique, les arts etc. Chacun comporte, ou peut comporter, des aspects spécifiques qu'il y a lieu d'analyser et d'évaluer : par exemple, les valeurs du jeu de rugby ne sont pas celles du football.

7) L'association est le mode juridique d'existence de ces divers lieux. Beaucoup d'entre eux ont leur histoire, ils sont l'expression locale de mouvements d'éducation populaire, de mouvements de jeunesse, riches de traditions éducatives qu'il importe de valoriser dans le temps présent.

8) Les diverses institutions éducatives ne peuvent vivre enfermées sur elles-mêmes, une émulation entre elles et une complémentarité sont nécessaires. Celle-ci est rendue possible par la procédure d'agrément par les pouvoirs publics. Ces derniers ont nécessairement leurs critères qui traduisent les universaux de la société : respect des droits de l'homme, des valeurs du développement humain et de la solidarité. Ils doivent aussi respecter la diversité des engagements, éviter des carcans réglementaires qui étouffent des initiatives, comme pour l'éducation au risque par exemple.

9) Les municipalités parce qu'elles sont proches des populations dont elles sont issues, ont un rôle fondamental à jouer pour susciter et réguler le tiers lieu, préciser les objectifs et articuler entre elles les diverses institutions éducatives. Au plus près des acteurs, elles peuvent organiser par exemple la coopération entre Ecole et associations pour l'accompagnement à la scolarité. Elles ont les moyens de procéder à l'analyse des besoins, d'aider les associations : pour la formation de leurs cadres, par des aides matérielles (subventions, locaux...). L'ouverture à tous est un critère important pour l'attribution de l'aide publique.

10) La régulation du tiers lieu éducatif est un moyen de surmonter la tension parfois vive chez les jeunes entre le « vivre ensemble » et l'affirmation des différences. Là se joue la paix civile.

Rendre possible l'éducation des convictions au bénéfice de tous les jeunes est aussi un moyen de lutter contre des discriminations sociales et géographiques : ce doit être une grande ambition pour notre pays.

Ce texte a été signé, outre ses trois initiateurs, par Francine Best, Guy Coq, Jean Gasol, Michel Gevrey, Philippe Meirieu, Jean Planchais, ainsi que Rarid Hamana, président de la FCPE, Eric Favey, secrétaire national de la Ligue de l'enseignement, Guillaume Légaut et Françoise Parmentier, présidents des Scouts et Guides de France, Olivier Blaise, président de Confrontations.