UNIVERSALITE |
L'universalité est un thème central qui affleure systématiquement dans les débats contemporains sur l'Education. On connaît bien les deux positions traditionnelles sur cette question. D'un côté, on affirme que "toutes les cultures se valent" et l'on considère comme valeur suprême le "respect de la différence" ; on dénonce les violences et les colonisations ouvertes ou larvées que génère toute prétention d'une culture à l'universalité. D'un autre côté on pointe les excès que le droit à la différence laisse commettre, on rejette le relativisme sceptique qui se donne comme vérité ultime - alors qu'il récuse précisément toute vérité -, on souligne qu'une telle position interdit à un sujet d'interroger les valeurs de son environnement socio-culturel et de s'exhausser au-dessus d'elles ; on propose alors des valeurs de référence qui sont précisément celles élaborées à partir du critère d'universalité. S'agissant de la "culture scolaire", ces deux positions se retrouvent assez largement : les uns affirment qu'il faut prendre acte de la diversité culturelle, de la multiplicité des cultures de référence et introduire des pratiques pédagogiques où cette multiplicité ait une large place. Les autres voient dans ces propositions une abdication, le renoncement à l'universalité et le maintien des sujets dans un état de sous-développement culturel... On peut, sans doute, avancer un peu dans ce débat en introduisant, là encore, l'historicité des apprentissages et en montrant que, s'il convient de partir de l'environnement culturel de l'enfant, il convient tout autant de l'aider à le questionner en lui permettant de le confronter à d'autres références. Mais on peut également interroger la notion même d'universalité... Que veut-on dire, en effet, quand on affirme qu'il faut transmettre aux enfants les grands acquis de la "culture universelle" ? Veut-on indiquer par là qu'il existe des auteurs et des oeuvres qui ont été définis une bonne fois pour toutes comme ayant valeur universelle et que c'est cela qu'il faut imposer aux élèves quoi qu'il en coûte ? Ou bien veut-on dire que c'est au pédagogue, par son action pédagogique, par son inventivité didactique, à tenter de faire partager la valeur de certaines oeuvres, l'émotion, la joie, la lucidité qu'elles procurent... et à établir, par là, leur valeur universelle? Veut-on soumettre les autres à un universel défini a priori ou soumettre aux autres ce que l'on estime pouvoir être universel, pour en vérifier précisément la portée par notre capacité à le faire partager? Victor HUGO a-t-il une portée universelle parce que son nom figure dans les manuels, anthologies et encyclopédies... ou son nom y figure-t-il parce que, précisément, des pédagogues ont su faire partager les valeurs dont ses oeuvres sont porteuses? L'universel ne préexiste pas à l'Education, mais c'est bien l'Education qui permet de construire l'universel. C'est pourquoi l'instituteur de banlieue, le professeur de collège, quand ils réussissent, à force de travail pédagogique, à force de chercher des moyens de toutes sortes pour faire découvrir à leurs élèves le plaisir qu'il y a à comprendre comment fonctionne le système solaire, la joie que l'on éprouve quand on peut communiquer vraiment par l'écriture, le bonheur que l'on ressent à se "retrouver" dans un poème de RIMBAUD, sont de véritables "constructeurs d'universalité"... tout autant que le professeur de philosophie des classes préparatoires aux grandes écoles ou le professeur de littérature ancienne au Collège de France ! En ce sens "la pédagogie" et "l'universalité de la culture" sont profondément solidaires : seule la première peut empêcher que la seconde se mue en imposition de contenus culturels à des sujets réduits à l'acceptation ou au rejet aveugles. La pédagogie, en d'autres termes, c'est "l'universel en actes", mais un "universel modeste", se construisant en permanence par l'interpellation de la liberté d'autrui... car toute Education qui cherche à imposer des valeurs les discrédite dans la mesure, précisément, où elle avoue par là son incapacité à susciter l'adhésion de l'autre. Philippe MEIRIEU |