Des enfants et hommes - Littérature et pédagogie 1 : la promesse de grandir, Paris, ESF éditeur, 1999
Déjà engagée à plusieurs reprises, l'approche littéraire des faits éducatifs prend ici sa pleine dimension. Il s'agit bien, en effet, d'interroger la littérature - sans la réduire à un pré-texte - pour comprendre "ce qui se fabrique" dans les relations éducatives, entre parents et enfants, maîtres et élèves... Le texte littéraire, en effet, met à nu - y compris dans son expression stylistique - ce qui se joue au plus intime des sujets et ce en quoi cette intimité est porteuse d'universalité. Des histoires singulières - à tous les sens du mot - donnent ainsi à penser sur la manière d'agir en éducation et leur étude contribue à "la formation du jugement éducatif". Cette formation du jugement, déjà évoquée dans La pédagogie entre le dire et le faire, trouve ici, en même temps que son explicitation, une de ses méthodologies possibles.

Grandir ne va pas de soi. Et tant de sollicitations, aujourd'hui, nous invitent à rester dans la toute-puissance de l'enfance ou à nous installer dans l'indécision de l'adolescence que grandir semble être devenu plus difficile que jamais.

Mais grandir n'a jamais été une chose simple. Parce que grandir est toujours un déchirement. Parce que grandir impose des renonciations. Parce que grandir suppose d'accepter d'entrer dans un monde que l'on voudrait parfois fuir. Parce que grandir contraint à de nombreux apprentissages auxquels on préférerait, sans doute, d'autres activités plus immédiatement gratifiantes.

Et la modernité exaspère les difficultés de l'entreprise : il faut parfois grandir sans père, écartelé entre deux cultures, sans entrevoir d'espérance de satisfaction, sans projet accessible. Il faut fréquenter une école qui ne sait plus que promettre aux enfants en échange du sacrifice d'une partie de leur jeunesse. Jadis les enseignants, les parents, les éducateurs pouvaient justifier leurs prescriptions en laissant croire aux enfants que la société paierait bien un jour l'addition : « Sois sage, travaille... et tu réussiras ! » Mais la promesse de réussite est usée jusqu'à la corde. Alors, pourquoi grandir ? A quoi cela peut-il bien servir d'apprendre?

Pour approcher de telles questions, Philippe Meirieu a pris le parti d'étudier des oeuvres littéraires, persuadé qu'elles nous permettent de lire et de comprendre, parfois bien plus exactement et avec plus de clarté que les travaux des « sciences humaines », les enjeux fondamentaux de l'éducation. De Perceval de Chrétien de Troyes à 1984 d'Orwell, de Giraudoux ou Montherlant à Primo Levi ou Russel Banks, il explore des oeuvres qui permettent d'entrer dans l'intelligence vive de l'éducation.

Aux enseignants, aux éducateurs, mais aussi aux étudiants et aux parents, il offre un ensemble de réflexions qui, pour le moins, « donnent à penser ». Dans un style accessible à tous et avec la volonté délibérée de réconcilier outil de formation et plaisir de lecture, il nous présente des « lectures pédagogiques » qui, sans aucun doute, feront date.