Lettre à un jeune professeur, Paris ESF éditeur - France Inter, 2005 |
|
Après avoir travaillé pendant près de cinq ans avec de jeunes enseignants au sein de l'Institut universitaire de formation des maîtres de l'Académie de Lyon et à quelques semaines de la fin de son mandat de directeur, Philippe Meirieu a éprouvé le besoin de s'adresser directement à ceux et celles qui s'engagent ou envisagent de s'engager dans le métier. Pour leur dire l'intérêt et l'importance de l'aventure, pour leur confier quelques unes de ses préoccupations principales ("N'organisez pas la discipline, organisez le travail"), pour lever des malentendus aussi : en effet, certains jeunes enseignants peuvent parfois imaginer que les exigences de ce que l'on a appelé "professionnalisation du métier" contrarient leur véritable vocation ; ils s'imaginent que la "technocratie" de l'Education nationale les empêche d'exprimer cette passion de transmettre qui leur a fait choisir l'enseignement... Or, il faut absolument briser ce malentendu et retrouver l'unité fondatrice entre le "projet de l'Ecole" et le "projet d'enseigner"... C'est encore possible et absolument nécessaire.
|
|
"Vous avez le désir de transmettre et la passion d'enseigner. Apprendre à lire et dessiner aux enfants ou enseigner l'histoire, les mathématiques, l'éducation physique, l'électronique à des adolescents : tel est votre projet. C'est pour cela que vous êtes devenu professeur... ou que vous allez le devenir. Pas pour crouler sous des réformes ministérielles contradictoires et des instructions officielles ésotériques. Pas pour vous épuiser à faire de la discipline. Ni pour tenter désespérément de colmater les brèches d'une société tout entière vouée au divertissement et à l'individualisme. Vous auriez aimé initier vos élèves à l'univers des contes, explorer librement avec eux les conséquences de la loi de Joule... et voilà qu'on vous demande d'évaluer à tout bout de champ les compétences acquises et de mettre en place une multitude de dispositifs d'aide dont vous ne voyez pas l'intérêt. Vous auriez voulu pouvoir vous enthousiasmer en classe sur Victor Hugo ou exposer les subtilités de la comptabilité analytique... et voilà qu'on vous demande de travailler sur le règlement intérieur et de vous impliquer dans des projets pluridisciplinaires. Vous vous demandez si vous ne vous êtes pas trompé de métier. Ou si l'on ne vous a pas trompé sur le métier. Je voudrais vous convaincre qu'il n'en est rien. Qu'il n'y a pas de contradiction entre votre passion de transmettre et les exigences de l'institution scolaire. Je voudrais vous montrer que vous pouvez être pleinement « professeur », totalement investi dans la transmission de ce que les hommes ont élaboré de plus intelligent et de plus exigeant... tout en assumant complètement la dimension politique de votre travail, apprendre à vos élèves à s'émanciper et à s'associer, à chercher la vérité et à construire le bien commun. Mais il faut maintenant parler vrai. Se situer au plus près de ce qui achoppe : la fidélité à notre vocation première et l'exigence d'une École capable de faire vivre la démocratie. Là où les tensions sont les plus fortes et l'arête la plus vive. Pour vous, comme pour moi. " Philippe Meirieu |