Philippe Meirieu, Un pédagogue dans la Cité, conversation avec Luc Cédelle, DDB, Paris, 2012 |
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Qu’est-ce qui fait courir un pédagogue ? Comment un professeur devient-il un militant et un chercheur en pédagogie ? Qu’espère-t-il vraiment en participant à des commissions ou des réformes ? En quoi son combat pour l’accès aux savoirs est-il solidaire d’un projet plus large d’émancipation de tous et de refondation de la démocratie ? Pourquoi décide-t-il de s’engager en politique ? Qu’est-ce qu’un « catho de gauche » vient faire chez les écologistes ? Et, au total, qu’est-ce qu’être aujourd’hui un pédagogue dans la Cité ? Considéré par les uns comme une des figures de proue de l’éducation et de la formation, accusé par d’autres d’avoir sapé les fondements de l’école, Philippe Meirieu s’explique ici. Interrogé sans complaisance par Luc Cédelle, il répond sans fard. Sans esquiver les coups ni les problèmes. Au plus près du plus juste. Il s’adresse à tous ceux et à toutes celles qui se demandent aujourd’hui quelle éducation peut nous permettre de préparer demain. Dans un livre à la croisée de la pédagogie et de la politique : une contribution essentielle au débat public. |
- Présentation et entretien dans LE CAFE PEDAGOGIQUE - Sur le blog de Claude Lelièvre dans MEDIAPART - Sur le blog de Luc Cédelle dans LE MONDE.FR - Extrait de l'introduction du livre (3) : "La légende noire de Philippe Meirieu" |
Pour lire un des "intermèdes" de ces entretiens : Extrait de la conclusion : Dans le contexte que nous vivons aujourd'hui , le « divertissement », comme disait Pascal, semble, pour beaucoup de nos contemporains, la véritable planche de salut : individuel et à court terme, il apparaît comme la seule ligne de conduite des adultes et fait voler en éclats toute promesse collective. Or, sans promesse, sans futur ni projet, sans perspective mobilisatrice, pas d’éducation possible. Au nom de quoi, en effet, pourrait-on demander à des enfants de renoncer à la toute-puissance, à la frénésie pulsionnelle et à la satisfaction immédiate de tous leurs désirs, dès lors que nous ne leur promettons rien en échange ? Quand rien n’incarne plus l’avenir et que même « la possibilité d’une île » s’évanouit à l’horizon, l’éducation paraît devenir une entreprise impossible. Je me méfie pourtant viscéralement de la rhétorique de l’apocalypse et de l’esthétique de la désespérance. Certes, la posture est élégante et impose le respect chez les intellectuels. Mais elle sent le vieux et le renfermé. A s’y complaire, on trouve, à l’évidence, quelques satisfactions narcissiques, mais on finit par s’apitoyer sur son propre malheur en oubliant la réalité du monde. Le pessimisme lyrique tient lieu alors de théorie et l’on jouit entre soi de beaux effets de style plutôt que de se coltiner l’effort de penser. Aussi, je ne crois pas que l’on puisse se contenter de pleurer sur la fin des « conditions de l’éducation », en attendant d’hypothétiques temps futurs où cette dernière redeviendrait possible. Ce n’est d’ailleurs pas ce que fait Marcel Gauchet puisqu’il plaide pour un travail politique qui permette, justement, de reconstruire ces conditions. Je suis convaincu, comme lui, que ce travail est essentiel et c’est pourquoi je me suis engagé, pour ma part, dans l’écologie politique qui propose de rompre avec le fonctionnement mortifère de notre postmodernité… Nous prenons acte que le monde est fini et que, pour pouvoir continuer à l’habiter ensemble, nous devons miser sur l’infinie richesse des humains : en lieu et place du pillage de la planète par des privilégiés, nous voulons permettre à chaque être humain d’être suffisamment inventif pour pouvoir contribuer à la définition collective, à tous les échelons, du bien commun... Nous constatons la faillite d’un système où la concurrence acharnée, à tous les niveaux et dans tous les domaines, n’engendre qu’exclusions en chaîne, et nous voulons lui substituer une solidarité en actes : entre les humains et la nature, entre les ruraux et les urbains, entre les professions et les générations, entre les nations et les peuples… Nous refusons de considérer l’accélération fabuleuse de nos existences, le culte de l’immédiateté et la virtualisation du monde comme des fatalités : nous voulons installer des espaces de décélération, des temps de réflexion et des occasions de rencontre entre les êtres pour tenter de faire exister un peu de véritable démocratie. Mais ce qui caractérise les écologistes, au point, d’ailleurs, de nous rendre insupportables pour les apparatchiks du « désordre établi », comme disait Emmanuel Mounier, c’est que nous ne nous contentons pas de déclarations d’intention générales et généreuses. Nous sommes des besogneux du passage à l’acte, des obstinés du concret, des traqueurs infatigables de toute incohérence. Nous avons des convictions, mais aussi des propositions concrètes que nous proposons de mettre en œuvre. Nous savons que beaucoup préfèreraient, pour ne pas faire de vagues, juxtaposer un discours humaniste bien rodé avec des pratiques « réalistes » qui pérennisent au moindre coût les bonnes vieilles habitudes. Mais nous ne l’entendons pas de cette oreille et c’est notre cohérence, ici, qui nous rend subversifs. J’ai bien conscience de la fragilité d’une telle hypothèse. Mais je la crois nécessaire. Nécessaire, parce que l’impératif éducatif place les adultes dans l’obligation de lever les yeux au-dessus de leurs intérêts immédiats : éduquer, c’est se contraindre à l’avenir. Nécessaire, parce que l’éducation nécessite d’identifier les savoirs et les valeurs, les principes et les œuvres que nous devons transmettre à ceux qui arrivent : éduquer, c’est s’obliger à l’essentiel. Nécessaire, parce que le politique ne pourra reprendre la barre face à toutes les formes de chaos – climatiques, économiques, financiers et sociaux - que si des citoyens du monde s’engagent dans des collectifs démocratiques pour y débattre du bien commun… et ce comportement se découvre, se forme et s’outille dans des situations pédagogiques : éduquer, c’est rendre possible la démocratie. Je crois donc que l’éducation est, tout à la fois, une manière de redonner du sens à nos existences et de changer le monde. Je crois qu’elle peut faire exister une promesse nouvelle : celle d’un partage qui ne soit pas pillage et d’une société enfin apaisée, capable de penser son avenir. Je le crois d’autant plus que j’observe, ici et là, l’émergence d’une foule d’initiatives éducatives, à l’école et sur les territoires, dans les quartiers et les médias, dans le tissu associatif et culturel, au carrefour des générations. Certes, les choses partent un peu dans tous les sens et pèchent souvent par naïveté. Mais l’énergie est là. De plus, les mauvais coups portés récemment au système scolaire, à la formation des enseignants et aux associations d’éducation populaire pourraient bien réveiller quelques ardeurs militantes. Je crois aussi que la violence verbale anti-pédagogique s’est tellement banalisée et « pipolisée » qu’elle a perdu l’essentiel de son efficacité : sur le terrain, elle ne porte plus… Je ne dis pas que l’affaire est réglée et le combat gagné. Mais l’exigence et le travail pédagogiques peuvent redevenir audibles. Et ainsi, peut-être, l’éducation sera-t-elle être perçue comme une des conditions de notre possible reconquête du politique. Contre toute fatalité. Je n’ai guère varié, vous le voyez. Je reste un peu fou : « pédagogie et politique sont dans un bateau… » Et si aucune ne tombait à l’eau ? |