Gianni en APP Revoilà Gianni. Il fréquente, cette fois-ci, un Atelier pédagogique personnalisé et - une fois de plus - énonce quelques vérités bonnes à dire. C'est que Gianni vient de loin. Pour ma part, je l'avais rencontré dans un livre paru en 1968 et auquel je dois beaucoup : Lettre à une maîtresse d'école. D'anciens élèves exclus des écoles communales italiennes étaient alors « récupérés » par un curé exilé pour son non-conformisme dans un petit village des Abruzzes, Barbiana. Don Milani avait ouvert sa cure à tous ces exclus et les accueillait, tous les jours de l'année, pour les faire travailler. Pas de cours magistraux, pas de compositions collectives, pas de classements, mais un accueil, une disponibilité aux problèmes de tous, des fiches de travail individuel pour permettre à chacun de progresser, des travaux de groupes pour s'enrichir mutuellement, des lectures et des visites... bref un APP avant la lettre ! Que Gianni soit revenu en APP du côté du Havre ou de Rouen n'est donc pas étonnant. Il en vient, si j'ose dire. Il fait partie de ces individus que les circuits scolaires traditionnels ne sont pas parvenus à intégrer et qu'on a laissés au bord de la route. C'est vrai qu'il n'est pas facile le gars en question. Faire travailler Gianni n'est pas une sinécure : il a trop cru ceux et celles qui l'ont déclaré incapable et, avec le temps, il s'est fait un devoir de ne pas les démentir. Il a trop fait confiance à ceux et celles qui n'instruisent que les « bons élèves », les « élèves motivés », « les élèves polis et travailleurs »... ceux qui voudraient remplacer, sur le fronton de l'École de la République, la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » par « Nul n'entre ici s'il n'est déjà éduqué... et bien éduqué de préférence ! ». Alors Gianni arrive souvent méfiant, parfois agressif, toujours inquiet... Et ce qui se passe là ne relève pas du miracle, mais bien de la pédagogie. Il rencontre des formateurs qui font alliance avec lui . Alliance contre toutes les formes de fatalité. Alliance pour accéder aux savoirs qui permettent d'être plus intelligent de soi et du monde. Alliance pour passer de la transgression à l'émancipation... Je n'en dirai pas plus : les textes qui suivent parlent d'eux-mêmes. Gianni est là et il nous dit ce qu'est apprendre, ce qu'est grandir, ce qu'est retrouver sa dignité. Il faut le suivre, le regarder faire, l'écouter. Il a infiniment plus à nous apprendre que bien des traités savants. Et s'il nous apprend autant, c'est que, loin d'un théoricisme ésotérique, il nous confronte avec les problèmes concrets et nous permet de construire de véritables théories. C'est cela qu'ont compris les formateurs qui sont à l'origine de ces textes : les écrire permet à ceux qu'ils accueillent de « se penser » eux-mêmes, sans complaisance ni agressivité inutiles. En décrivant leur histoire par la médiation de la fiction, ils en deviennent acteurs. Ils sortent du chaos, de la sidération, du découragement. Ils se défont de toutes les images qui leur collent à la peau. Mais sans, pour autant, se renier : Gianni porte bien tous leurs soucis et, comme eux, traîne un lourd passé. Mais Gianni « fait le pas », un pas difficile qui impose bien des renoncements et requiert bien du courage : il faut renoncer au confort de la « victime râleuse », comme il faut le courage de s'engager dans ce qu'on ne sait pas faire - ce qu'on croit n'être pas capable de faire - et que, précisément, on doit faire pour apprendre à le faire. Le récit, ici, est un fabuleux outil de formation. Mais ce n'est pas tout. Les formateurs ont souhaité que ces textes soient édités et mis à disposition du public : ils ont eu raison. Face à un discours éducatif qui oscille aujourd'hui entre le jargon et les clichés, confisqué par les experts, d'un côté, et condamné au « Café du commerce », de l'autre, les histoires de Gianni en APP sont ce que nous pouvons faire de mieux. Chacun se sentira, en effet, concerné par ces récits : chacun reconnaîtra, à travers ces histoires singulières, les fondamentaux de toute éducation et de tout apprentissage. Gianni réhabilite les « romans de formation », il revient nous dire l'essentiel. Suivons-le. |