On n’écrit vraiment que pour le plaisir. Et, en même temps, écrire est toujours une épreuve. Ecrire est une épreuve . Mais cela doit toujours, aussi, être un plaisir. La pédagogie ne sort pas de ces contradictions. Au contraire, elle les adore. Elle les explore et les exploite. C’est son pain quotidien. Bien sûr, elle peine à les expliquer. Parfois même, elle s’embrouille. Elle se prend les pieds dans le tapis et se casse la figure. Sous le regard satisfait de ceux qui marchent bien droit dans leurs bottes. De ceux qui croient qu’il suffit de faire défiler au pas les élèves et les concepts, les règles de grammaire et les théorèmes mathématiques. C’est parce que la pédagogie sait bien que l’éducation est affaire d’équilibriste. Il faut tenir ferme le balancier et poser délicatement les pieds. Éviter les à-coups à droite et à gauche. Du type : « Allez, maintenant, assez plaisanté, je reprends les choses en mains et tu n’as pas à discuter… » ou : « Après tout, je ne peux pas travailler à ta place et, si tu ne veux pas réussir, c’est ton affaire ! ». Impossible d’avancer ainsi. Les débats sur l’autorité et la liberté, c’est bon pour les salons des philosophes et les plateaux télévisés. Dans la classe, on expérimente quotidiennement leur vanité. On fait au mieux, on ajuste. On sait où on va, mais on ne connaît pas le chemin à l’avance… Il faut que l’élève engage sa liberté pour apprendre, mais il a besoin, pour cela, d’être confronté à ce qu’il ne sait pas encore. Il faut qu’il s’approprie les programmes, mais il a besoin, pour cela, de s’impliquer dans des activités qui le concernent. Pas facile : on bricole des situations, on pille les idées des collègues, on pioche dans les livres… Et c’est merveilleux quand un livre, comme celui que vous avez entre les mains, nous accompagne aussi bien dans notre tâche. Avec une fabuleuse inventivité, il nous aide à faire entrer les élèves dans la langue. Il nous propose d’explorer avec eux l’aventure de l’écriture en multipliant à l’infini les « exercices de style » chers à Raymond Queneau. Chacun peut comprendre ainsi que les mots sont vivants… Ce sont de vrais personnages avec leurs qualités et leurs défauts : attendrissants, volontaires, agaçants. Avec leur fierté aussi : on ne peut pas leur faire dire n’importe quoi. Mais compréhensifs quand même : en les ménageant un peu, on parvient toujours à les mettre à contribution. Et voilà qu’avec eux, on découvre des choses essentielles : on ne peut pas dire la même chose de deux manière ! Et oui : si on change la phrase, même un tout petit peu, on ne dit plus la même chose ! Mais, en même temps, explorer ce qu’on pourrait changer est infiniment fécond… et, en plus, très rigolo ! Ainsi, sur le thème des variations, Daniel Gostain nous offre-t-il bien plus que des exercices : des histoires. Des histoires à lire et à prolonger. Des histoires à entendre et à répéter. À répéter et à déformer. Des histoires qui font découvrir aux élèves des mondes inconnus, des mots nouveaux, des configurations syntaxiques insoupçonnés. Des histoires dont chacun peut vraiment être le héros. Parce ce qu’écrire est toujours une aventure singulière. Et parce que c’est, en même temps, une manière de s’inscrire dans des normes collectives qui permettent de faire société. Parce qu’écrire, c’est, indissociablement, entrer dans une langue qui nous préexiste et se mettre en jeu pour faire œuvre de soi-même. Philippe Meirieu Professeur à l’université LUMIERE-Lyon 2 |