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De la co-errance à la cohérence…

 

Rares sont les témoignages d’élus qui parviennent à nous faire entrer dans la « chose politique », sans jamais basculer dans le cynisme de celui qui « est revenu de tout » ou le plaidoyer narcissique de celui qui se veut meilleur que tous les autres. Encore plus rares sont ceux qui nous introduisent au cœur d’une démarche où la force des convictions est mise, sans complaisance, à l’épreuve de la résistance et de la complexité des situations. Exceptionnels sont ceux qui nous offrent la possibilité de comprendre comment se fabriquent au jour le jour, concrètement, les décisions qui déterminent notre quotidien et préparent notre avenir. Le livre que vous allez lire est précisément de ceux-là. En effet, loin de s’apitoyer sur lui-même ou de se tresser des couronnes, à mille lieues des déclarations d’intention dont le pathétique de la formulation est bien vite recouvert par la cohorte des excuses et des boucs émissaires, Mathieu Orphelin nous livre un texte d’une rare authenticité, un texte qui – en ces temps troublés où les « politiques » sont systématiquement soupçonnés -, peut  permettre, précisément, de redonner à l’action publique son éminente dignité.

Cette dignité tient, pour l’essentiel, à la cohérence qui relie l’homme avec son propos, ses convictions avec ses comportements, ce qu’il dit avec ce qu’il fait, ce qu’il fait avec la manière dont il le fait, son histoire passée avec son engagement présent et ses projets futurs… Car il ne faudrait pas croire que cette cohérence va de soi. Bien au contraire : ce qui est « naturel » dans nos institutions – et mortifère pour l’image des hommes et des femmes en responsabilité ! – c’est l’écart vertigineux entre les intentions affichées et les actions réalisées. La chose est vraie partout, tant la tentation est forte de n’affirmer haut et fort des projets aussi généraux que généreux que pour s’exonérer de les mettre en œuvre ! Dans l’École – que je connais bien – cela frise la caricature sans, toutefois, paraître ébranler le moins du monde les cadres de cette vénérable institution : ainsi produit-on des « projets d’établissement » au kilomètre où il n’est question que de « développer l’autonomie des élèves », de « former chacune et chacun à la citoyenneté », de « valoriser les réussites de tous », de « développer le partenariat et de promouvoir la co-construction afin de mettre en œuvre une éducation globale » ! Mais cela n’empêche nullement la machine-école de continuer tranquillement à traiter des adolescents de dix-sept ans comme des enfants de six, de bâcler les élections de délégués et de négliger leur formation, de continuer à utiliser un système d’évaluation chiffré absurde, de laisser les parents sur un strapontin sans entendre ce qu’ils auraient à nous dire ! Bien sûr, il existe, ici ou là, quelques héros qui tentent, avec une fausse naïveté, de poser la question : « Mais pourquoi ne faites-vous pas ce que vous dites ? »… Ils ont bien du mérite d’oser interroger ainsi la schizophrénie instituée entre les discours et les actes. D’ailleurs l’institution les regarde toujours, plus ou moins, avec un scepticisme condescendant, comme si elle prenait pitié d’eux : « Ne savez-vous pas que c’est impossible ? Que les discours sont faits pour se positionner dans la vaste foire aux idées, mais n’ont pas vocation à s’incarner dans une institution qui doit continuer à fonctionner sur le principe du moindre coût ? » S’ils s’obstinent, ces empêcheurs de tourner en rond prennent alors de graves risques : celui d’être rabattu sur le « réalisme » au nom de l’impératif gestionnaire et d’y laisser leur âme… ou bien celui d’être cantonné dans les discours sur les finalités : on les enverra en stage ou dans des colloques, on en fera d’eux des « permanents des généralités », loin d’un quotidien qui sera ainsi à l’abri de leurs interrogations impertinentes… Et il en est de même dans la plupart de nos institutions comme dans la vie politique, au point que les Français ne croient plus guère aux grandes déclarations d’intention. Ils savent qu’elles ne sont pas vraiment faites pour inspirer l’action et que la cohérence à laquelle ils aspirent n’est pas souvent au rendez-vous : les « contraintes légitimes » et les complots de tous ordres, ourdis par des adversaires réels ou imaginaires, semblent condamner leurs décideurs à une co-errance permanente que seules quelques jacqueries viendront parfois rappeler – mais si fugitivement ! – à la nécessité de tenir parole…

Il est vrai que « tenir parole » n’est pas chose facile : car, entre les finalités – aussi assurées soient-elles – et les actes – même les plus ténus -, il n’y a ni continuité, ni déductibilité. Savoir ce qu’on veut faire ne dit pas comment y parvenir. Et il n’y a guère que dans les problèmes de mathématiques de l’école que la solution préexiste à la question. Dans la réalité, il faut les inventer les solutions, les construire, les essayer, les ajuster, les remettre sans cesse en chantier. Dans la réalité, les choses résistent, le passé s’entête, les habitudes sont incrustées et les préjugés tenaces ; dans la réalité, chacun préserve son territoire et ses prérogatives quand on voudrait voir s’imposer le bien commun ; dans la réalité, il faut faire preuve en permanence d’imagination et de conviction pour faire avancer les choses vers plus de lisibilité pour les usagers, plus de justice pour les citoyens, plus de solidarité pour la planète. Dans la réalité, la chaine qui relie nos finalités à nos actes pour les mettre en cohérence doit faire l’objet d’un travail minutieux, d’un entêtement permanent, d’une obsession systématique, si l’on ne veut pas laisser les finalités s’envoler vers les généralités abstraites et le quotidien patauger dans la médiocrité… Dans la réalité, la cohérence n’est jamais donnée à l’avance, elle est affaire de détermination obstinée.

Et c’est précisément cette détermination obstinée pour créer de la cohérence que donne à voir Mathieu Orphelin dans les pages de ce livre : on le suit, pas à pas, dans son travail pour mettre en œuvre et « mettre en actes » ses convictions. On le voit s’affronter, au quotidien, au scepticisme et au cynisme de ses adversaires et, parfois même, de ses alliés. Pourtant, il ne faiblit pas. Il garde le cap, au risque d’être brocardé pour ses lubies : mais les opportunistes nomment précisément « lubies » les convictions de ceux qui restent fidèles à leurs engagements ; ils osent même parfois traiter de « dogmatiques » ceux qui refusent de fouler aux pieds leurs engagements. Mathieu Orphelin assume. Sans forfanterie ni mauvaise conscience. Sans agressivité ni fausse humilité. Avec sérénité et authenticité. Osons le mot : avec humanité.

Car, au-delà du bilan politique remarquable et de la démarche exemplaire de l’auteur, ce livre nous donne à voir un être profondément humain, porteur de cette « humaine condition » faite de forces revendiquées et de fragilités assumées, aux prises avec des contradictions souvent difficiles à surmonter, en quête, tout à la fois, de vérité et d’efficacité et en conscience que seuls les « esprits forts » peuvent échapper à cette interrogation sur soi qui tenaille légitimement tout être aux prises avec le projet insensé de rendre le monde meilleur.

Car il y a trop d’ « esprits forts » en politique. Ou de gens qui prétendent l’être. C’est une des raisons majeures du désamour que nourrissent nos contemporains vis à vis des politiques. Il y a trop de « professionnels du pouvoir » qui apparaissent vivre dans un monde clos, agrippés à leurs hochets, ignorant les inquiétudes et les angoisses qui taraudent les « petites gens », répétant en boucle quelques formules convenues avec un « esprit de sérieux » qui ne trompe plus personne. Il y a trop de notables qui se parlent entre eux et échangent gravement des certitudes sentencieuses. Il y a trop de « grands élus » et de « grands commis » qui ignorent – ou font mine d’ignorer – que l’action humaine est un pari qui noue convictions et inventivité dans une démarche où rien n’est jamais gagné à l’avance et où tout dépend, à chaque instant, de la mobilisation des êtres qui s’engagent à nos côtés… Bref, il y a trop d’ « esprits forts » qui imaginent que tout peut être maîtrisé dès lors qu’on a conquis une place et organisé un système pour gouverner. Il y a trop d’ « esprits forts » qui s’excitent sur tout mais ne sont affectés par rien. Trop d’ « esprits forts » qui se nourrissent de conflits, mais sans jamais « briser l’armure », trop d’automates guerriers qui s’ébrouent dans des jeux de couloirs et de cabinets avant de rentrer tranquillement chez eux, indifférents au monde et aux autres. Droits dans leurs bottes. Droits dans leur carrière.

Mathieu Orphelin n’est pas un « esprit fort ». C’est un homme vulnérable, ce qui ne l’empêche pas d’être déterminé et même dangereux pour ses adversaires. C’est un homme dont on peut discuter les points de vue – moi-même, je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’il affirme ici -, ce qui ne l’empêche pas de forcer le respect de toutes et tous. C’est, tout simplement mais essentiellement, un homme de conviction et de confiance, avec les compétences nécessaires pour exercer des responsabilités, mais aussi la modestie et l’humour qui sauvent de toute arrogance. Autant dire qu’il incarne ce dont la politique française a plus que jamais besoin : des convictions écologiques – quand l’avenir du monde est menacé -, un engagement social – quand l’exclusion gagne chaque jour du terrain -, une solidarité en actes – quand l’individualisme, le repli sur soi et la haine menacent de gangréner notre pays. C’est un homme convaincu et déterminé, qui dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit.
Je souhaite que beaucoup lisent son livre et qu’il fasse des émules. Pour contribuer au renouvellement de la vie politique française dont nous avons tant besoin.

Philippe Meirieu