« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans… » « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans… », c’est bien connu depuis Rimbaud. Et le poète précise : "Le coeur fou robinsonne travers les romans." Il n’est pas certain, bien sûr, que les adolescents d’aujourd’hui se retrouvent complètement dans le portrait de Rimbaud… Quoique, malgré les mutations sociologiques et technologiques sans précédent que nous connaissons, j’imagine que beaucoup de jeunes gens et de jeunes filles vont encore rêver « sous les tilleuls verts de la promenade »… Certes, ils n’affichent plus autant qu’avant cette langueur affectée de celui qui, comme le disait Saint Augustin, « n’aimait pas encore, mais aimait à aimer ». Pourtant ils tombent toujours amoureux, avec la même certitude éblouie d’une éternité fragile, avec le même sentiment de vivre en permanence sur une arête et de pouvoir basculer, en un instant, de la béatitude absolue au malheur total… Certes, ils sont bardés de carapaces et de prothèses : T-shirts agressifs, baladeurs et gadgets en tout genre. Pourtant, ils demeurent infiniment vulnérables, à un mot, un regard, un geste ou, simplement, à l’air du temps… Certes, ils affirment une assurance, voire une arrogance, qui laisse penser définitivement aux adultes que nul, avant eux, n’a connu ni compris ce qu’ils vivent. Pourtant, ils sont en quête d’une filiation et empruntent aux mythes les plus ancestraux – quand ce ne sont pas les formes les plus archaïques – de quoi exprimer ce que les habite… Certes, ils dissimulent moins leur corps et, parfois même, l’exhibent avec provocation. Pourtant, ils y sont toujours aussi mal à l’aise et n’empruntent les oripeaux de la mode du clan que pour masquer leur inquiétude de ne pas être capables de s’habiter… Certes, ils écrivent plus volontiers des SMS que des alexandrins, tiennent moins souvent qu’avant leur journal (surtout les garçons !), lisent moins vite les grands classiques et semblent leur préférer les magazines people. Pourtant, ils peuvent accéder à la littérature et, même, y trouver, à la fois, des occasions de plaisir et d’apprentissage. C’est ce que savent bien les auteurs de ce livre. C’est le pari qu’elles font. Et c’est à partir de là qu’elles nous présentent un ouvrage infiniment précieux. Précieux, d’abord, parce qu’informé et appuyé sur l’observation minutieuse d’une population. Précieux, aussi, parce que solidement arc-bouté sur une connaissance des ouvrages destinés aux adolescents comme des ouvrages de la « grande littérature » auxquels ils peuvent accéder. Précieux, enfin, parce qu’il nous propose une approche à la fois sensible et didactique de la lecture. Or, les pages qui suivent ont l’immense mérite d’échapper à cette alternative : on y trouve en effet, à la fois, des fiches précises, avec des exercices et des outils didactiques éprouvés… et une conception de la littérature comme entrée dans l’intelligence de « l’humaine condition ». La didactique n’est ici qu’une propédeutique assignée à la modestie, au service d’un projet fondateur, au coeur des missions de l’École : permettre à chaque élève de relier ce qu’il vit de plus intime avec ce qu’il y a de plus universel. Ainsi les œuvres ne sont-elles pas simplement des textes à s’approprier pour pouvoir répondre aux questions d’hypothétiques examinateurs. Elles perdent aussi leur statut d’objets mystérieux avec lesquels certains élus entretiendraient d’étranges relations de complicité… Elles deviennent de l’humain en partage. Ce qui, en même temps, libère et relie les hommes. Ce qui donne forme symbolique à ce qui nous habite et permet à nos histoires singulières d’entrer en résonance avec l’altérité. Ce qui dit la singularité de cette altérité et nous permet d’exister nous-mêmes, différents parce que semblables, en dialogue avec des livres qui nous ouvrent l’horizon sans nous dicter notre chemin. On le voit. « Lire à 17 ans » est bien autre chose qu’un simple problème d’école. C’est une question de société. Une affaire de politique. Plus et mieux encore : un enjeu poétique. Car, comme le dit Hölderlin, « il faut habiter poétiquement la terre ». Philippe Meirieu
|