Étrange destin que celui des « devoirs à la maison » !

Officiellement supprimés à l’école primaire, ils n’en subsistent pas moins, dans bien des cas, et font l’objet d’un très fort investissement des parents. Au collège et au lycée, ils deviennent un élément important, voire décisif, de la scolarité… au point qu’à écouter certains discours, ils seraient presque plus déterminants dans la réussite des élèves que la présence, l’attention et l’activité intellectuelle pendant les cours eux-mêmes. Considérés officiellement comme du « travail personnel », ils sont l’objet d’une multitude de traitements collectifs : étude, aide aux devoirs, accompagnement à la scolarité, cours particuliers, soutien scolaire… mais aussi groupes de travail entre copains, ou avec les parents, frères, sœurs, cousins et voisins. On ne dispose pas d’enquête nationale assez précise pour chiffrer exactement l’importance de cet ensemble d’activités, mais il est vraisemblable qu’il s’agit de quelque chose de considérable, d’une sorte de face cachée de l’institution scolaire où se brasse beaucoup d’argent et se dépense beaucoup d’énergie.

Sur le fond, tous les travaux convergent, mais convergent sur un paradoxe. D’une part, les devoirs à la maison constituent une surcharge souvent bien trop lourde pour les élèves ; ils sont incontestablement un renvoi à l’inégalité qui accroît les écarts sociologiques entre les familles ; ils sont, enfin, pédagogiquement très discutables puisqu’ils s’effectuent en l’absence du vrai professionnel de l’apprentissage que constitue le professeur. Mais, d’autre part, on s’accorde aussi pour dire que l’élève ne doit pas rester strictement dépendant, pour son travail, de la situation scolaire, qu’il a besoin de s’entraîner personnellement pour améliorer ses performances et, surtout, qu’il doit progressivement savoir prendre des initiatives, décider de son activité intellectuelle et de sa manière de l’effectuer, bref devenir autonome.

Ce paradoxe a pu paralyser la réflexion et nourrir des débats stériles… Mais il peut aussi stimuler la pensée et permettre de dégager des propositions porteuses d’espérance. C’est le cas de cet ouvrage qu’il faut saluer. En associant les devoirs à la maison et la question de l’autonomie de l’élève, il renouvelle fortement le cadre habituel, il permet de sortir des procès d’intention et des oppositions formelles. Poser le problème en termes d’autonomisation des apprentissages, c’est, en même temps, questionner la légitimité des devoirs à la maison, s’intéresser à leur nature et à leur articulation avec le travail fait en classe. C’est aussi poser la question du développement de l’élève, en récusant les barrières artificielles, en regardant de près la continuité de ses activités, le transfert de ses acquis et les conditions de son véritable progrès.

C’est ainsi qu’Alain Simonato, tout en s’appuyant sur de nombreux travaux et sur sa riche expérience, apporte un regard nouveau : le regard sur un élève « complet ». Pas un élève coupé en tranches. Pas un élève qui devrait simplement juxtaposer au mieux diverses activités intellectuelles. Pas un élève censé effectuer « à la maison » des tâches qu’on ne lui a jamais appris à faire, ou bien contraint de terminer seul le programme à son gré. Pas un élève qui doit faire reprendre systématiquement les explications reçues à l’école par un répétiteur privé… Mais un élève dont les acquisitions intellectuelles s’effectuent dans un continuum qu’il s’agit bien d’accompagner dans la temporalité. Dès lors, tous les acteurs trouvent leur place et la complémentarité s’installe… Tous les problèmes ne sont pas résolus, mais, avec les outils qui nous sont proposés ici, nous sommes bien armés pour tenter de les résoudre.

Penser l’École et, plus généralement, le travail de l’élève, comme une propédeutique à l’autonomie intellectuelle, voilà qui renouvelle opportunément les choses et devrait permettre d’avancer vers une école plus juste… Autant dire que ce livre est particulièrement précieux pour tous ceux et toutes celles qui travaillent dans ce sens.

Philippe Meirieu

Professeur des universités