Economie de la connaissance et nouvel humanisme Si l’accès à l’enseignement secondaire a été amplement développé au cours de la seconde moitié du XXème siècle, il reste beaucoup à faire pour sa véritable démocratisation, afin que l’Ecole contribue à élever le niveau de chacune des personnes et celui de la cohésion de nos sociétés. La fracture scolaire reste, en effet, particulièrement préoccupante ; les inégalités se développent et, au moment où la complexité de notre monde appelle un surcroît d’accès à l’abstraction et à la culture, un surcroît de citoyenneté et d’implication dans des collectifs solidaires, nos institutions scolaires sont en proie à des formes ouvertes ou larvées de délitement. Ainsi, les violences et les angoisses qui agitent le monde de l’école expriment-elles le malaise de ses acteurs, pris dans de difficiles contradictions : exigence de production de résultats au titre de la « réussite », quand, agissant avec des « sujets », on ne peut être soumis qu’à « l’obligation de moyens » ; transmission des savoirs « fondamentaux » et constat du caractère déterminant d’un curriculum caché destiné à former les élites et inaccessible au plus grand nombre ; pressions de plus en plus grandes du corps social à l’égard des enseignants – enjoints à réparer toutes les injustices et à compenser toutes les insuffisances éducatives - quand, par ailleurs, la société n’a jamais été aussi peu éducative, aussi peu vigilante sur le caractère toxique de ses productions sur sa jeunesse et aussi peu déterminée dans son « devoir d’éducation ».le système de formation fondé sur l’approche par compétences et mis en place dans le cadre du socle commun comme en formation professionnelle, s’expose à un fort risque d’instrumentalisation par la logique néolibérale du marché : l’éducation ne doit pas devenir une marchandise soumise aux règles de l’offre et de la demande, minée par la concurrence entre les personnes et les institutions. Sa fonction critique et citoyenne doit rester centrale. A cet égard, le travail collégial, coordonné par Martine Boudet et Florence Saint-Luc, respectivement de formation didactique et psycho-pédagogique, propose des pistes pour un authentique renouvellement. A partir d’une description des mécanismes de l'économie de la connaissance et de la cyberculture, l’accent y est mis sur l'intérêt d'un rééquilibrage de la recherche en faveur des sciences humaines et sociales, pour endiguer l'essor d’une pensée quantifiante, utilitariste et déshumanisée. A partir de travaux sur la pensée complexe, des propositions sont faites qui permettent d’entrer dans l’intelligence de la culture de l’autre : promotion de l'égalité entre les filles et les garçons, de la parité professionnelle, de l'interculturel (par le dialogue des cultures d'appartenance), prise en compte des codes médiatique et juvénile sans démagogie ni résignation… pour aider chacune et chacun à accéder à la pensée… Bien loin d’un universalisme abstrait et normalisateur, nous voyons ici comment redonner des couleurs aux véritables « humanités ». Et les programmes scolaires gagneraient, de toute évidence, à intégrer ces éléments, comme à élargir l’enseignement de la philosophie au plus grand nombre. Les auteures soulignent, à ce sujet, que si les programmes de français incluent, depuis la réforme de 2000, un enseignement des littératures francophone et européenne, il manque encore les documents d'accompagnement qui étaient promis. De même, elles expliquent que si la didactique des mathématiques est globalement ouverte et positive, il conviendrait d’y introduire une formation à la statistique pour développer l’esprit critique. Ajoutons qu’un des grands mérites de cet ouvrage est d’effectuer un retour sur l’histoire de l'Éducation nationale et de présenter le fonctionnement d’autres systèmes éducatifs européens : cela permet au lecteur de se décentrer et ouvre des pistes d’évolution possibles, inspirées, par exemple, par les apports de la pédagogie institutionnelle, de l’Ecole Moderne - Pédagogie Freinet, mais aussi en tirant aussi parti des rapports de l’UNESCO et du Conseil de l’Europe. Ainsi, sont présentées des maquettes de formation qui permettent la construction collective et la mutualisation des connaissances, des savoirs et des expériences. Enfin, le dernier chapitre résume bien les préconisations de l’équipe, dont il faut souhaiter qu’elles contribuent à une mobilisation nécessaire. En ces temps dits de « refondation », ce livre sera donc précieux tant pour la mise en place de programmes de formation que pour la révision des programmes disciplinaires et leur mise en oeuvre. Car, le défi est immense : nous devons construire aujourd’hui une véritable éducation à la citoyenneté, active et vigilante, dans l’ensemble des disciplines comme dans toute la « vie scolaire ». Dans un contexte général marqué par le regain inquiétant des thèses racistes, xénophobes et intégristes, nous devons faire les choix éducatifs qui permettront à tous nos élèves de s’inscrire dans une histoire authentiquement humaniste et favoriseront la construction de solidarités nouvelles. Ce livre devrait nous y aider.
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