Baguette magique

Certains ont cru que le développement de la science et des techniques, les progrès spectaculaires dans la connaissance du monde, la multiplication des échanges et l’explosion des moyens de communication allaient entraîner un recul, voire une disparition, de la pensée magique. Or, c’est tout le contraire qui se passe : notre monde ne connaît pas seulement – comme l’avait prévu Malraux – un retour de la religiosité et une montée des fanatismes intégristes, il montre une véritable fascination pour toutes les formes d’ésotérisme, d’occultisme et de sorcellerie.

Le succès de l’Heroic fantasy qui, chaque fin d’année, envahit nos écrans en est un signe parmi bien d’autres. Comme la fantastique réussite d’Harry Potter – au demeurant pas une si mauvaise littérature que ça ! – et de l’ensemble des jeux qui nous font évoluer dans des univers imaginaires : souvent inspirés des grandes sagas moyenâgeuses, nous y côtoyons monstres et dragons dans des aventures où il est toujours question de pouvoirs surnaturels… Plus préoccupante est la fascination des adolescents pour les phénomènes paranormaux : sait-on que les sites Internet de spiritisme, de satanisme, de « gothisme », de soucoupisme (sur les OVNI) sont parmi les plus consultés par les jeunes de quatorze à dix-huit ans ? Et vingt-sept millions six cent mille sites dans le monde sont entièrement consacrés à ces phénomènes ! Tandis qu’à côté, de manière plus visible mais peut-être pas moins dangereuse, le mysticisme de pacotille, plus ou moins oriental, devient un véritable marché ayant pignon sur rue…

Mais il serait très injuste de stigmatiser ces phénomènes sans pointer le fait que les adultes « normaux » que nous sommes succombent eux aussi souvent à la tentation de la magie. Passons sur l’importance sans cesse grandissante des horoscopes et autres prévisions astrologiques, passons sur la montée de la numérologie et autres techniques divinatoires… et attachons-nous simplement au débat public, aux discours politiques comme aux discussions professionnelles. On y trouve une constante : il faut sans cesse s’excuser de ne pas être un magicien !

Implicitement, nous attendons, en effet, de ceux qui ont du pouvoir qu’ils soient capables de transformer le monde par la vertu de leur seule parole. Nous rêvons nous-mêmes d’être des magiciens et de concrétiser nos désirs par le miracle de notre seule pensée. Au point que nous finissons pas développer une croyance collective à la « com » : nous confondons l’habileté du propos et la réalité du travail. Plus la peine de faire, il suffit de dire et d’y penser très fort !

En cette période de souhaits et de vœux, il faut peut-être rappeler que, si ces derniers sont infiniment utiles pour dégager l’horizon, ils ne nous exonèrent en rien de l’effort quotidien pour se coltiner la complexité des choses… sans baguette magique.