Normopathe

 

On s'inquiète parfois pour rien... alors qu'au contraire ce qui devrait nous inquiéter nous laisse indifférents ! Il faut donc se tenir au courant des dernières nouveautés afin de repérer le plus vite possible ce qui nous menace vraiment. Le danger, aujourd'hui, nous vient des psychiatres, toujours prêts à débusquer les moindres troubles psychiques et qui viennent de mettre sur le marché - car c'est bien le mot qui convient - une nouvelle maladie : la normopathie. Pour faire simple, est « normopathe » toute personne qui se croit en bonne santé psychique et prétend n'avoir de problèmes ni avec ses parents ni avec ses enfants : un sujet étrange sans ego surdimensionné ni complexe d'infériorité, quelqu'un dont la vie affective et sexuelle est à peu près équilibrée... Pire encore : est normopathe quiconque n'est jamais dépressif, n'est pas victime de troubles obsessionnels compulsifs et ne semble pas menacé par une quelconque névrose. Les normopathes sont - vous l'avez compris - les pires malades... parce qu'ils se croient normaux ! Ce sont des esprits forts devant la psychiatrie, campant dans un équilibre qui, à l'évidence, ne présage rien de bon. Trop parfaits pour être inoffensifs ! De vrais dangers publics cachés derrière un équilibre évidemment factice !

Les mauvais esprits feront remarquer que l'existence des normopathes est une aubaine pour les psychologues de toutes obédiences : plus personne, dorénavant, ne devrait échapper à leurs griffes et leurs salles d'attente vont devenir difficiles d'accès.

Pourtant, voilà une invention que je trouve bien rassurante : elle confirme qu'on peut avoir des problèmes sans être un malade psychiatrique définitivement étiqueté comme tel... Qu'on peut même passer par des moments de déprime sans se voir condamné à prendre des anxiolytiques, subir des électrochocs ou engager une psychanalyse ! Evidemment, cela ne doit pas nous faire oublier qu'il existe des souffrances psychiques qui, bien que moins facilement identifiables que les souffrances physiques, n'en restent pas moins terriblement éprouvantes et doivent être soignées avec toute l'intelligence et l'énergie possibles... Cela ne doit pas nous cacher la grande misère de la psychiatrie française qui, faute des moyens nécessaires, se contente parfois de camoufler les symptômes à coup de drogues de toutes sortes...

Mais, pour beaucoup d'entre nous, la découverte de la normopathie est éminemment rassurante. Elle confirme ce dont nous nous doutions : un être humain n'est pas un robot ; c'est quelqu'un d'éminemment fragile qui, après des moments d'enthousiasme et d'exaltation, passe par des périodes de tristesse et de deuil. Et ce n'est pas parce qu'il nous arrive d'être déprimés que notre vie est compromise et notre avenir définitivement barré. Mieux encore : il nous faut apprendre, au plus froid de l'hiver, à goûter l'espérance du printemps. Car c'est, de toute évidence, pour ceux qui - comme moi - ne sont ni normopathes ni psychopathes, la meilleure thérapie.