Pottermania

 

Il ne faut pas sous-estimer « le phénomène Harry Potter  ». Voilà, en effet, un événement éditorial sans précédent : sept millions d'exemplaires vendus dans le monde, en une seule journée, lors de sa sortie en anglais au printemps dernier. Plusieurs centaines de milliers d'exemplaires vendus en France lors de sa mise en vente dans notre langue. Et, de l'autre côté de la Manche, un auteur dont les revenus excèdent maintenant largement ceux de la reine d'Angleterre !

Mais il ne s'agit pas seulement ici de commerce et l'on aurait tort de réduire ce phénomène aux seuls effets d'une machinerie publicitaire, certes terriblement efficace, mais qui n'explique pas - et de loin ! - l'engouement extraordinaire pour les aventures d'un adolescent dans le monde des sorciers. Qu'on en juge : sept jeunes sur dix, entre 11 et 14 ans, ont lu au moins un livre d' Harry Potter . Chacun des tomes fait au moins 450 pages et le dernier paru en comporte 700, soit presque deux fois le volume d'un roman de Zola ! Les professeurs de français multiplient les témoignages : Harry Potter conduit à la lecture les élèves les plus rétifs, ceux qui refusent habituellement d'ouvrir le moindre ouvrage. Et, une fois le livre commencé, ils ne le lâchent plus... Phénomène extrêmement rare quand on sait que, sur dix ouvrages empruntés dans les bibliothèques et les centres de documentation par les jeunes,    plus de sept ne sont pas lus jusqu'au bout !

Voilà qui devrait nous faire réfléchir sérieusement et revoir les clichés avec lesquels nous fonctionnons habituellement : car, franchement, entre Bibi Fricotin , ou même Le Club des cinq - que lisaient les enfants de douze ans il y a cinquante ou quarante ans - et Harry Potter - qu'ils lisent aujourd'hui - le niveau a considérablement monté ! Madame Rowling n'est, certes pas, Homère ; la magie dont elle parle n'a pas la portée universelle de La Quête du Graal  ; les sorcières de Poudlard ne peuvent rivaliser avec celles de Shakespeare et les aventures du jeune Harry n'ont pas la profondeur psychologique de celle de l'élève Toerless... Mais, de l'avis unanime, les aventures d'Harry Potter sont plutôt bien écrites, avec une vraie réflexion sur la paternité, les rites initiatiques qui permettent de sortir de l'enfance, la naissance du sentiment amoureux. Ce sont des textes qui associent l'imaginaire et le réel et permettent aux lecteurs d'accéder au symbolique, fonction essentielle s'il en est, condition d'entrée dans la véritable culture.

Prenons donc appui sur ce phénomène pour dénoncer et refuser la médiocrité, la vulgarité et la bêtise des « radios jeunes » ou des émissions de télévision racoleuses censées faire de l'audience avec les enfants et les adolescents. Le public - et les jeunes, en particulier - n'est pas réfractaire à l'intelligence. Plus que jamais, c'est sur elle qu'il faut parier...