Psychotropes

La médecine est, aujourd'hui, l'objet de toutes les attentes. Jadis épaulé par le curé, l'instituteur et le notaire, le médecin est devenu maintenant, dans bien des cas, le seul recours possible. Toutes les détresses viennent à lui... Et, le plus souvent, il y fait face : il écoute les parents qui ne savent plus comment s'y prendre avec leurs enfants et les enfants qui ne peuvent plus parler à leurs parents. Il tente de raisonner la jeune fille qui, hantée par la peur de grossir, bascule dans l'anorexie et le garçon qui, pour ne pas perdre la face, commence à se droguer. Il est, parfois, la seule personne qui rend visite à une personne âgée. Il est, souvent, le premier auquel on vient confier son stress et ses insomnies parce qu'on a peur de perdre son emploi. Quand les élèves sont découragés par des échecs scolaires graves, on les amène chez le médecin pour qu'il leur prescrive des vitamines...

Ainsi, parce que notre santé est notre bien le plus précieux - ne dit-on pas « Tant qu'on a la santé... » ? - nous donnons au médecin une place immense dans notre vie. Et le médecin s'efforce de faire au mieux : il sait parfaitement que, bien souvent, il ne traite que le symptôme et qu'il est impuissant sur le mal. Comment faire autrement ? Il ne peut, à lui seul, changer nos conditions de vie, abolir les contraintes, ôter les obstacles, effacer les événements qui nous ont traumatisé. Et, parce que c'est, à la fois, son métier et son honneur, il s'efforce quand même d'apaiser nos souffrances.

Ainsi prescrit-il souvent - bien trop souvent, nous dit-on ! - des anxiolytiques et des anti-dépresseurs. Et le malade lui-même en redemande... au point que nous sommes devenus une nation sous psychotropes !

Mais, c'est trop facile de stigmatiser ainsi ceux qui tentent de trouver une solution - même mauvaise - à la détresse. Ainsi, le chômeur, déprimé à la suite d'un licenciement, est-il accusé de creuser le trou de la Sécurité sociale par sa consommation excessive de médicaments... Quand le médecin qui les lui prescrit est, évidemment, coupable de laxisme : il aurait dû se contenter de l'envoyer faire du sport et boire des tisanes !

Quelle hypocrisie ! Notre société ne sait pas donner à chacun et à chacune la place qui lui permettrait de trouver les équilibres fondamentaux. Elle se détourne de la prévention, abandonne en rase campagne les travailleurs sociaux, délaisse les associations, rechigne à engager une véritable aide à la parentalité... et vient ensuite reprocher aux plus fragiles, aux plus démunis, aux hommes et aux femmes blessés par la vie de se tourner vers la médecine. Quand il ne reste plus que les médecins pour adoucir le monde, ce sont les autres qui doivent se poser des questions. L'hégémonie de la médecine pour panser nos plaies sociales n'est pas le problème des médecins, c'est celui de toute notre société.