Question d'intérêt...

 

En famille comme à l'école, les éducateurs s'embrouillent dès qu'ils se mettent à invoquer « l'intérêt » de l'enfant. C'est que voilà une notion bien ambiguë : quand les adultes y voient une manière de rappeler « ce qui est dans l'intérêt » de l'enfant, l'enfant préfère y voir, lui, « ce qui l'intéresse ». Et, malheureusement, « ce qui est dans son intérêt » (lire, chaque jour, quelques pages d'une oeuvre classique, préparer minutieusement ses affaires de travail...) n'est pas vraiment « ce qui l'intéresse » (regarder la télévision, rester dans son lit, le matin, le plus longtemps possible...).

Et l'on voit s'affronter, sur cette question, les traditionnelles postures éducatives opposées de l'autoritarisme et du laxisme. D'un côté, il y a ceux qui affirment que l'enfant ne peut savoir ce qui est bien pour lui, ni être motivé par ce qu'il ignore : il faut donc, sans aucun scrupule, lui imposer ce qu'il doit faire... et il n'y trouvera un intérêt qu'au bout d'un long temps d'efforts obligés. D'un autre côté, il y a ceux qui expliquent que la contrainte ne produit que la mauvaise volonté, le travail bâclé, la dissimulation, voire la tricherie : il faut donc partir de qui motive l'enfant et espérer qu'il finisse par être motivé par ce qui est vraiment « dans son intérêt »...

Mais ces deux positions sont des impasses : la première parce qu'on ne mobilise pas la liberté d'un enfant en l'assujettissant aux injonctions d'un adulte qui lui dit : « Tu comprendras plus tard ! ». La seconde parce que, pour aider quelqu'un à grandir, il faut l'aider à s'exhausser au-dessus de ses intérêts immédiats et non l'abandonner à lui-même : « Après tout, fais ce que tu veux ! ».

Cessons donc cette querelle et convenons que l'éducation comporte toujours, en même temps , l'exercice d'une autorité exigeante et l'effort pour montrer tout le plaisir et toute la joie qu'on peut trouver, dès maintenant, dans ce qu'elle propose... Ainsi peut-on exiger d'un élève de sixième qu'il prépare, chaque soir, ses affaires de classe pour le lendemain en inventoriant, avec lui, ce dont il aura besoin... si, par ailleurs, on prend le temps de pratiquer le même inventaire avant de se lancer ensemble dans du bricolage et de constater, à cette occasion, le gain de temps et le plaisir d'une plus grande efficacité. On peut faire lire quelques pages de Racine à un élève de troisième tous les soirs... mais à condition de tenter de les déclamer avec lui et d'accéder - quitte à passer par de franches parties de rigolade - au bonheur d'entendre et de prononcer ces mots et ces phrases qui révèlent soudain, avec une étrange évidence, ce qu'on ignorait et que, pourtant, on portait en soi. Car l'éducation est, au sens propre, « entraînement » : on ne tire pas sur les tiges pour les faire pousser, on n'abandonne pas les personnes à ce qu'elles sont... On s'engage pour que l'autre s'engage. On s'implique pour qu'il s'implique...