Trois questions à Philippe Meirieu sur "la réforme de l'université", texte paru dans La lettre des élus de l'UNEF

1) Où en est le débat pédagogique à l’université ? Quels en sont les freins ?

Il est difficile de parler de l’université en général, a fortiori de l’enseignement supérieur, tant les situations sont variées. Il me semble qu’il existe des secteurs où une réflexion pédagogique a été menée depuis plusieurs années et où des formes de travail original avec les étudiants ont été développées : c’est le cas des IUT et de quelques IUP, de certaines licences et de quelques masters professionnels ; c’est le cas aussi de quelques facultés dans des « petites universités » ; c’est le cas, enfin, des services de formation continue – souvent très en avance, dans ce domaine, sur la formation initiale… Mais, globalement, la pédagogie, dans l’enseignement supérieur en est à la préhistoire. Nous vivons toujours avec une conception très cléricale qui confond transmission des savoirs et distribution des sacrements, qui postule que les être humains sont des esprits parfaitement et naturellement disponibles à la raison qui s’expose, qui ignore la diversité des stratégies d’apprentissage et la nécessité d’accompagnements différenciés, qui ne pense pas en termes de dispositifs d’apprentissages, qui ignore toute réflexion sérieuse sur l’évaluation. Un symptôme : la focalisation, aujourd’hui, contre la fraude… Je ne nie pas qu’il puisse y avoir quelques problèmes de ce côté-là, mais je suis convaincu que la solution passe essentiellement par l’invention de démarches et de sujets où la fraude n’est ni intéressante ni possible et par un meilleur suivi des travaux. Je ne peux pas croire que, quand on suit régulièrement l’avancée des travaux d’un étudiant ou d’une étudiante, on ne s’aperçoive pas très vite des « emprunts » malhonnêtes qu’il peut faire.

2) Quels sont, selon vous, les principaux axes pour une réforme pédagogique ambitieuse à l’université ?

Il faut d’abord clairement réaffirmer que la démocratisation de l’accès aux savoirs est l’une des deux missions fondatrices de l’université – avec la recherche et la production de nouveaux savoirs. Il faut que les universités soient tenues de présenter une politique claire et ambitieuse dans ce domaine.

Cette démocratisation passe, d’une part, par une réflexion en profondeur sur la place de l’université dans la Cité et, d’autre part, par un travail approfondi, dans des équipes cohérentes, sur les dispositifs et situations d’apprentissage universitaires. Il faut, à cet égard, rompre radicalement, avec le darwinisme universitaire qui sévit trop souvent. Il faut faire entrer dans la carrière des enseignants du supérieur une prise en compte systématique de leurs « recherches pédagogiques », et cela dans toutes les disciplines.

Concrètement, je suis favorable à la mise en place d’ « unités fonctionnelles » de cent étudiants environ (pas nécessairement du même niveau) et au fait que, dans chacune d’entre elles, s’investisse un groupe identifié et limité d’enseignants. Avec les étudiants, ils disposeraient, à partir de référents nationaux forts, d’une large liberté dans l’organisation des études. Ils pourraient discuter systématiquement, au sein de ces unités, des modalités de transmission, de l’organisation des cours et des évaluations, des emplois du temps, de la place respective des enseignements magistraux, des travaux individuels, de la démarche expérimentale ou de la recherche documentaire, des articulations avec la recherche fondamentale et le monde professionnel. Car, si les étudiants et les étudiantes ne peuvent légiférer sur « les savoirs », ils sont à même de s’impliquer dans une réflexion en profondeur sur les méthodes. Cela impose, évidemment, de changer radicalement les rapports entrez enseignants et étudiants dès la première année : la dissymétrie académique sur les savoirs ne doit pas être incompatible avec une symétrie organisationnelle : dans les « unités fonctionnelles » que je propose, ce sont des adultes – enseignants et étudiants - qui s’organisent ensemble pour optimiser leurs conditions de travail et favoriser les apprentissages.

3) La grande majorité des IUFM vient d’être intégrée aux universités. Qu’en pensez-vous ? Est-ce un outil pour renouveler la formation des enseignants du primaire et secondaire comme du supérieur ?

Il faudra voir à l’usage. Ou bien les IUFM, tout en se transformant, pourront jouer un rôle moteur dans l’évolution pédagogique des universités. Ou bien, ils seront phagocytés par la logique dominante et feront de la « gestion des flux ». C’est une question de volonté politique,tant nationale que locale.