Surenchère à la télé

 

On croit, chaque fois qu'une chaîne de télévision invente un nouveau « concept » de télé-réalité, qu'on a touché le fond ! Et bien, non ! Car la machinerie médiatique ne chôme pas. Elle dépense une énergie considérable pour imaginer régulièrement de nouvelles émissions et mettre en place des dispositifs techniques de plus en plus sophistiqués afin d'attirer les téléspectateurs... et vendre de plus en plus cher aux annonceurs publicitaires des « parts de cerveau disponibles ». On se dit parfois que si nos décideurs institutionnels, aux plus hauts niveaux, avaient autant d'intelligence et d'inventivité quand il s'agit de réfléchir sur les moyens de répartir plus équitablement les richesses, d'organiser de façon plus juste le système scolaire et la sécurité sociale, de préserver l'environnement pour les générations futures, nous aurions enfin des raisons d'espérer !

Dernière trouvaille : on mobilise quelques personnalités en mal de popularité pour les envoyer faire leurs classes en Guyane. On organise là une multitude d'épreuves dont le principe reste toujours identique : humilier les personnes, les mettre en situation de se ridiculiser, les amener jusqu'au moment où elles vont enfin craquer sous les yeux sidérés des téléspectateurs-voyeurs. Au coeur du dispositif, un principe que l'animatrice de ce « jeu » connaît bien : l'élimination du maillon faible. Avec ce qu'on pourrait prendre pour de l'humour, mais qui n'est qu'une forme d'ironie cinglante profondément méprisante pour ceux qui regardent comme pour ceux qui sont regardés. Évidemment, ces derniers sont rémunérés : ils n'accepteraient pas un tel traitement sans compensation ! 50 000 euros pour la première semaine et 6 000 euros pour chaque semaine suivante... Et un alibi humanitaire : les candidats coucourrent pour une association qui pourra obtenir jusqu'à 100 000 euros. Une goutte d'eau ridicule au regard du budget global de l'opération !

Il existe, pourtant, un accord, signé sous la houlette du gouvernement avec l'ensemble des chaînes privées et publiques, qui précise qu'entre six heures et vingt-deux heures, toutes les chaînes s'engagent à ne diffuser « aucun programme qui, d'une manière ou d'un autre, atteint à la dignité des personnes, en particulier en mettant celles-ci en situation d'humiliation ou en utilisant les conflits entre elles comme des spectacles. » Ce texte rappelle, par ailleurs, les principes de la Déclaration des droits de l'homme et de la Convention des droits de l'enfant ; il souligne qu'aucune « liberté d'expression » ne saurait justifier que « l'on propose comme modèle, implicite ou explicite, aux enfants des situations où les personnes impliquées acquièrent notoriété et gains en se livrant à des violences physiques ou psychologiques sur des tiers. » Le propos est courageux. Et ce texte, grâce au combat d'hommes et femmes politiques qui ont, enfin, renoncé à s'agenouiller devant la télévision, est entré en vigueur depuis le 1 er mars 2005... en Espagne.