Trois questions à Philippe Meirieu sur le rôle des lycéens dans leur formation, texte à paraître dans la revue de l'Union nationale lycéenne (UNL)

 

1) Qu’est-ce que la pédagogie et à quel courant vous rattachez-vous ? Comment vous y êtes-vous intéressé ?

Je me suis intéressé à la pédagogie, comme c’est bien souvent le cas pour les pédagogues, à travers des enfants et des élèves réfractaires aux apprentissages. Je me suis demandé comment les mobiliser, leur donner le goût d’apprendre, leur communiquer l’exigence d’un travail bien fait, les accompagner pour qu’ils puissent devenir autonomes et progresser… La pédagogie, c’est d’abord cela : refuser de considérer qu’il existe des êtres irrécupérables ou condamnés à l’échec. C’est lutter contre toutes les facilités de la psychologie des dons : « Il n’est pas doué pour ceci ou pour cela ! » Qu’en savons-nous ? Et si, simplement, on n’était pas encore parvenu à l’intéresser, à lui offrir les prises et les aides lui permettant de s’engager dans des savoirs nouveaux ?... Mais, pour autant, parce que l’éducation des hommes n’a rien à voir avec la fabrication des objets ou le dressage des animaux, on ne peut contraindre personne à apprendre contre son gré… par l’hypnose, la manipulation, la menace et la récompense. Les élèves ne peuvent pas être considérés comme des chiens de Pavlov qu’on fait avancer à coups de stimuli et de réflexes conditionnés ! C’est pourquoi la pédagogie cherche à créer des situations qui invitent l’élève à mobiliser sa liberté d’apprendre : il s’agit d’inventer des moyens, des méthodes, des outils qui lui donnent le goût et les moyens de s’engager et de se dépasser. C’est donc une affaire de créativité permanente. Il faut toujours chercher comment faire et faire mieux…

2) Pouvez-vous nous parler des travaux que vous avez pu mener concernant le lycée, et notamment lors de la consultation des lycéens sur les savoirs à enseigner au lycée en 1998 ?

Depuis de nombreuses années, je crois qu’il faut entendre ce que les lycéens ont a nous dire sur le lycée. Pas pour « faire leurs quatre volontés », comme on me l’a souvent reproché, mais pour engager un dialogue avec eux sur des questions où ils peuvent nous aider à progresser… Ainsi, en 1998, nous avons pu noter l’intérêt des lycéens pour des cours où ils puissent aborder les questions de société, et cela a permis de mettre en place l’Education civique juridique et sociale (ECJS). Mais nous avons pu, aussi, pointer la demande des lycéens de lycées professionnels pour l’étude de la philosophie dont ils sont privés, et, malheureusement, nous n’avons pas beaucoup avancé sur ce point. Nous avons, surtout, fait remonter beaucoup de propositions concernant la vie scolaire et les méthodes d’enseignement.

3) Quelle place, quel rôle peuvent avoir les lycéens dans leur formation ?

J’ai la conviction qu’ils doivent avoir une place centrale, non pour définir les programmes, dont la responsabilité appartient à l’État, mais pour aider à concevoir la manière de les enseigner, tant au niveau général que dans chaque classe et chaque discipline. C’est ainsi que nous avons mis en place les Travaux personnels encadrés (TPE) qui correspondent, je crois, à une vraie demande de travail interdisciplinaire sur la durée : loin des exercices répétitifs, on offre là une véritable occasion de se donner un défi et de produire un véritable « chef d’œuvre », comme les Compagnons de jadis. Et, dans chaque classe, je crois que les lycéens doivent pouvoir engager une concertation approfondie avec les professeurs pour réfléchir sur la place du cours, du travail individuel et du travail de groupes, sur l’utilisation des documents et la manière de présenter des exemples, sur l’organisation du temps, etc… Je ne suis pas contre, bien au contraire, la participation des lycées à la vie scolaire à travers, en particulier, le CVL, mais je pense que l’on ne peut pas les tenir à l’écart d’une vraie réflexion sur ce qui les amène au lycée : les apprentissages… D’ailleurs, si on ne le fait pas dans l’école, cela se fera hors de l’école, de manière sauvage et malsaine, comme le montre le développement récent du site note2be !