Tubes scolaires
La rencontre se déroule avec des étudiants d'université de première année. Des étudiants « ordinaires », loin de ceux et celles qui ont échappé au parcours du combattant universitaire en accédant à une classe préparatoire aux grandes écoles. Ils ne se vivent pas comme des privilégiés, loin de là ! Plusieurs d'entre eux sont en difficulté ; quelques-uns abandonneront avant la licence et la plupart s'attendent à des problèmes pour accéder à un emploi... Le débat tourne sur les questions d'orientation scolaire : comment cela s'est-il passé pour vous ? Quand avez-vous fait des choix et sur quoi ? Ils évoquent tous le choix de la section du lycée comme une étape décisive pour eux - avec la fameuse hiérarchie qui place le baccalauréat scientifique au sommet de la pyramide. Ils ont réfléchi à ce choix et, plus ou moins contraints et forcés, l'ont effectué en fin de seconde (c'est à ce moment-là que ce choix est prévu) ou en fin de troisième (c'est à ce moment-là qu'il est, bien souvent, stabilisé de manière plus ou moins explicite)... J'évoque l'hypothèse d'une orientation en voie professionnelle en fin de troisième : aucun ne dit l'avoir envisagée. Plus encore, personne ne semble connaître véritablement ce cursus ; tout le monde mélange les CAP, les BEP et le baccalauréat professionnel. Mais, disent-ils, cela n'a pas d'importance, car cela ne concerne vraiment que très peu d'élèves... d'ailleurs ils ne se souviennent pas en avoir rencontré ! Voilà qui est étonnant : il y a quand même plus d'un tiers d'une classe d'âge qui, sous une forme ou sous une autre, est « orientée » vers l'enseignement professionnel ! Or, pour ces étudiants, ces jeunes-là sont invisibles. Ils n'étaient pas dans les mêmes collèges qu'eux et ils ne les ont guère côtoyés ! Même s'ils en ont croisé un ici ou là, ils sont incapables de se les représenter et l'idée qu'on puisse choisir, en troisième, entre un BEP bio-service et un BEP ORSU (1) leur est complètement étrangère. Une jeunesse ignore l'autre... Sans penser à mal, sans mépris aucun : simplement, elle vit dans son tube et ne sait rien de l'autre. Selon une enquête récente, des enfants dont les parents n'ont pas fait d'études ou n'ont fait que des études courtes n'ont que 6% de chances de se retrouver, un jour ou l'autre, au coude à coude avec des enfants dont les parents ont fait des études longues. À l'opposé, les adolescents dont l'un des parents est diplômé du supérieur n'ont que 13% de chances de rencontrer des enfants en échec scolaire... Bien sûr, tout le monde est pénalisé par ce fonctionnement tubulaire qui appauvrit l'expérience sociale de chacun et ne prépare personne à la rencontre de l'altérité. Mais, plus encore, il faut s'inquiéter de cet autisme social qui se développe. Un nouveau mur s'est construit sous nos yeux. Pas à Berlin, ici. Saurons-nous le faire tomber ? (1) Opérateur régleur de système d'usinage. |