Un bon gros !

 

Même si l'on rappelle volontiers qu'on dit toujours « un bon gros » et jamais « un bon maigre », il ne fait pas bon être obèse pour un enfant aujourd'hui... On est encombré par un corps trop lourd et le moindre mouvement exige une énergie considérable. Le corps pèse une tonne... et bien plus encore quand on regarde les autres enfants courir ou nager, jouer au ballon ou faire du vélo ! On a honte de son ventre, de ses cuisses, de ses bourrelets - quel mot horrible ! -, de cette chair qu'on voudrait voir fondre miraculeusement pour pouvoir, enfin, passer inaperçu. Car l'enfant trop gros est toujours au centre des regards. Même si personne ne fait attention à lui, il est persuadé qu'on ne voit que lui, qu'on se moque de lui.

En réalité, depuis longtemps, il sait qu'il encombre. Il l'a su tout de suite. En famille, quand il a fallu aller acheter des vêtements. À l'école, quand il a eu des difficultés, dès le jour de la rentrée, à s'installer à son banc. Dans la rue, quand il a croisé des enfants « normaux » et qu'il a aperçu le reflet de sa silhouette dodelinante dans les vitrines.

Autour de lui, on a tenté de le rassurer : « Ce n'est pas grave, tu sais ! Tu n'y es pour rien... C'est un accident de parcours et tu vas t'en sortir ! » . Il avait presque fini par le croire... Mais, voilà que, dans les médias, on pointe maintenant sur les obèses un doigt accusateur : ils sont coupables de céder à la publicité pour les sodas et les fast-foods  ! Coupables de se goinfrer de sucreries quand ils devraient, au contraire, se contenter de légumes frais ! Ils n'ont pas la volonté qui leur permettrait de maigrir : ils se relèvent la nuit pour manger des glaces en cachette et ne persévèrent jamais suffisamment quand il s'agit de faire de la gymnastique ou d'aller à la piscine... De victime, le voilà devenu délinquant ! Le mauvais sort est devenu un délit ! Impossible, dans ces conditions, de se construire sereinement une identité.

Alors, au bout du compte, les enfants trop gros hésitent : entre le désespoir - avec, dans les cas les plus dramatiques, la tentative de suicide - et la revendication agressive de leur « différence » - avec, au bout du compte, une identification complète avec leur physique. Ou bien ils se terrent jusqu'à espérer s'anéantir. Ou bien ils s'étalent, avec la revendication insensée d'occuper encore plus d'espace. Ou bien, ils se renferment dans un mutisme qui scelle leur interdit d'exister. Ou bien, ils crient à la face du monde qu'ils sont fiers de leur excès et font de cet excès même leur mode d'être... Terrible dilemme dont on ne peut sortir que par un accompagnement long et obstiné des adultes qui entourent l'enfant. Quand ils parviennent à lui montrer qu'il en est de l'obésité comme de toutes nos différences physiques : il ne faut pas avoir honte d'être obèse ; mais qu'il n'y a pas de raison, non plus, d'en être fier. On peut même parvenir - et c'est une grande victoire qui vaut la peine de se battre - à être fier de ne pas en avoir honte.