COLLEGE |
Le collège français correspond à ce que l'on nomme, dans les recherches internationales, "l'école moyenne". A peu de choses près, la fin du collège correspond aussi chez nous, pour beaucoup d'élèves, à la fin de la scolarité obligatoire. Or, cette notion de "scolarité obligatoire" a, peu à peu, disparu du vocabulaire, comme si l'on hésitait maintenant à l'employer avec toute sa charge historique et sa signification sociologique. Or, si l'on revient aux sources de la "scolarité obligatoire", on est frappé de l'importance que la société avait donnée à cet objectif. Car, contrairement à ce que l'on a prétendu parfois, Jules Ferry, en faisant adopter les lois laïques, n'a nullement cédé à la demande économique qui aurait imposé une augmentation du niveau d'instruction : à l'époque de Jules Ferry, l'immense majorité de la population active travaillait dans l'agriculture, les mines, les travaux publics et dans des tâches de pure exécution où il n'était nullement utile de savoir lire, écrire et compter ; par ailleurs, l'on oublie trop que toutes les forces patronales de l'époque s'étaient mobilisées contre les lois laïques, ce qui n'aurait nullement été le cas si celles-ci avaient servi leurs intérêts. La scolarisation obligatoire n'est donc nullement, au XIXème siècle, une mesure requise par l'évolution sociale : c'est l'expression d'une volonté politique forte qui met au défi l'Ecole de donner à l'ensemble des jeunes Français les savoirs requis pour l'exercice d'une citoyenneté républicaine. Certes, c'est aussi l'expression d'une détermination politique pour asseoir l'unité d'un Etat dont ni les institutions ni même la langue ne sont encore vraiment homogènes... Mais c'est bien, d'abord, un véritable pari sur l'Education. Or, l'on a, en 1959, allongé la scolarité obligatoire jusqu'à la fin du collège, mais a-t-on, pour autant, avec clarté et fermeté, renouvelé ses structures et ses contenus pour en faire, pour tous les élèves, un lieu d'apprentissage des savoirs minimaux que notre société, de plus en plus complexe, requiert pour l'exercice de la citoyenneté ? Certainement non. Les collèges n'ont jamais été repensés en ce sens et ils flottent encore entre deux modèles périmés : celui de la seule préparation au lycée et celui du prolongement étroit de l'école primaire. Parfois même, ces deux modèles coexistent-ils dans un même établissement. Si l'on veut aujourd'hui être fidèles au pari de Jules Ferry, en l'accordant avec notre temps, il nous faut impérativement résoudre deux problèmes : d'une part, repenser les contenus d'enseignement du collège en termes de compétences requises pour comprendre et maîtriser notre société, d'autre part repenser la structure du collège pour que tous les élèves accèdent à ces compétences. Le premier problème est, en apparence, assez simple ; mais on sait qu'il est, en réalité, bien compliqué tant il heurte "les sensibilités disciplinaires" et les pratiques d'enseignement dominantes. Il s'agit de mettre fin à la logique de l'empilement et du feuilletage qui a présidé, jusque ici, à la construction des programmes des collèges, pour s'interroger véritablement sur les problèmes que des élèves doivent savoir résoudre à la fin de la scolarité obligatoire : on déterminera ensuite seulement, à partir de ces problèmes, les disciplines à mobiliser et ce n'est que dans un troisième temps, logiquement, que celles-ci construiront leurs programmes. Le deuxième problème est encore plus épineux puisqu'il touche aux structures même de l'enseignement et à la difficile question de la gestion de l'hétérogénéité. Les recherches des historiens ont montré que la disparition progressive des filières du collège ne se sont pas accompagnées de la démocratisation qui était visée. On sait bien pourquoi : c'est que, chaque fois que l'on a opéré des fusions, on a aligné les pratiques pédagogiques sur celles qui étaient utilisées dans la filière la plus prestigieuse. Mais les sociologues montrent aujourd'hui que la recréation de filières ne cesse de creuser des écarts, tant entre les résultats scolaires qu'entre les comportements d'élèves dont on peut se demander s'ils auront bien tous, à terme, le sentiment d'appartenir à la même Ecole, voire à la même Nation. Dans les pratiques, sur le terrain, les établissements hésitent entre des classes homogènes - qui se transforment vite en ghettos - et des classes hétérogènes - qui s'avèrent vite ingérables. Faut-il, alors, abandonner l'idée d'un "collège unique", creuset d'une socialité solidaire ? Je ne le crois pas. D'abord parce qu'une société qui abandonnerait le projet d'outiller un minimum ses membres pour qu'ils puissent être tous des citoyens lucides ne mériterait pas le nom de "société démocratique". Ensuite parce que nous savons bien, aujourd'hui, que les contenus d'apprentissage sont étroitement liés à la situation sociale d'apprentissage et qu'il est fallacieux de dire que l'on peut acquérir les mêmes contenus dans des situations sociales totalement hétérogènes. Enfin, parce que cela représenterait un appauvrissement considérable, même pour nos actuels "bons élèves", que de les priver du compagnonnage avec ceux qui, plus tard, seront socialement séparés d'eux. Il reste à inventer un collège qui réponde à ces enjeux. Des solutions existent qui parviennent à associer des groupes hétérogènes de référence et des groupes homogènes de besoin. Certes, cela est difficile à mettre en oeuvre et beaucoup disent que les enseignants n'y sont pas prêts. Mais qu'aurait fait Jules Ferry s'il avait attendu que les enseignants soient prêts ? C'est qu'il avait compris que ce que les enseignants attendent - comme tout le corps social - c'est une véritable volonté politique, le courage d'afficher une direction et de s'y tenir, la détermination éthique et sociale qui permette de faire du système éducatif autre chose qu'un ensemble hétéroclite de compromis politiciens. Philippe MEIRIEU Voir, dans le chapitre "Propositions et manifestes", les documents consacrés au collège. |
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